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Nouveaux prêtres

Quels défis pour les prêtres africains aujourd’hui ?

Par Sêmèvo Bonaventure AGBON
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Au Bénin, depuis cinq ans, les évêques ordonnent pour les besoins des dix diocèses environ soixante prêtres chaque été. Rencontre avec deux prêtres béninois ayant respectivement 40 et 54 ans de sacerdoce afin de recueillir leur perception des défis du nouveau prêtre africain aujourd’hui.

C’est en retrait à Agbanto, à une cinquantaine de kilomètres de Cotonou que le Père Éfoé-Julien Pénoukou passe, depuis 2019, sa retraite. Le poids de l’âge n’a guère entamé l’enthousiasme de l’octogénaire à discuter de sujets touchant à l’Église notamment à la vie des prêtres. « Je n’ai presque exclusivement fait que ça dans ma vie : la formation des prêtres et futurs prêtres » se souvient, non sans nostalgie, celui qui, ordonné en 1969, a été professeur, doyen de faculté de théologie puis recteur à l’Institut catholique d’Afrique de l’ouest en Côte d’Ivoire de 1979 à 1994 puis recteur du Grand séminaire Mgr Louis Parisot de Tchanvédji au Bénin de 1995 à 2002.

Au regard du contexte actuel, ce prêtre du diocèse de Lokossa (Sud-Bénin) ne cache pas son inquiétude pour l’Église et ces prêtres qu’ordonnent les évêques cet été encore en Afrique occidentale. « Aujourd’hui, ce sont les chrétiens qui sont les plus persécutés pour leur foi; l’Église est attaquée, critiquée et des hommes de Dieu sont doigtés comme des hommes à scandales » constate, les yeux embués, le théologien.

Selon le classement de l’Index mondial de persécutions de chrétiens, 5 pays africains figurent parmi les 10 où les chrétiens sont les plus persécutés au monde (la Somalie, la Libye et le Nigéria entre autres). Aux attaques physiques des extrémistes islamistes évoquées par ce rapport, s’ajoutent sur le continent des revendications parfois sur fond d’ostracisme du Christianisme.

Nouveaux prêtres
Père Efoé-Julien Pénoukou, prêtre du diocèse de Lokossa (Sud-Bénin) intervenant au cours d’un colloque à l’Université d’Abomey-Calavi/20-01-2020/Juste Hlannon/LCI

Mais « ce n’est pas nouveau !» fait remarquer le Père Pénoukou. « À notre époque, il fallait se défendre et se défaire de l’Occident ; c’était un combat tout à fait légitime en ces années précédant les indépendances africaines et on l’avait mené. Moi j’ai failli être renvoyé du séminaire ». Mais le prêtre fait remarquer qu’il s’agissait « non de rejeter le Christianisme simplement parce qu’il venait d’ailleurs –on rejetterait alors logiquement l’avion, la voiture, etc.– mais plutôt d’amener les Blancs, nos formateurs au séminaire, à comprendre que la foi chrétienne est une foi qui accueille la différence ». Et d’ajouter : « Mais aujourd’hui, le défi est tout autre ».

« Tout balayer de ce que nous avons reçu de l’Occident est ridicule »

Sous un autre angle, le Père Pénoukou reconnaît tout de même que ces revendications panafricanistes de retour à la culture voire aux cultes africains en vogue constituent un défi voire un chantier important pour les nouveaux prêtres. « C’est une interpellation pour nous prêtres » estime-t-il. Que faire alors ? Aux nouveaux prêtres qui débutent souvent leur ministère comme aumôniers paroissiaux des groupes de jeunes, le Père Pénoukou recommande de « travailler à montrer à leurs fidèles, aux jeunes surtout, que la foi chrétienne qui est apportée a des éléments non pas de similitude mais de compatibilité et de complémentarité avec les valeurs culturelles de chez nous ».

Sur cette question, le Père Nicolas Hazoumè, prêtre depuis 40 ans et ancien recteur du Grand séminaire de philosophie St Paul de Djimè sis dans le centre du pays, recommande la nuance adoptée dans les années 80 où il devenait prêtre : « Faire la différence entre le retour aux sources africaines et le recours aux sources africaines ». En d’autres termes, « nous pouvons recourir à nos valeurs ancestrales, nos langues, nos proverbes et même à notre pharmacopée ».

Cependant, ce prêtre du diocèse de Porto-Novo, la capitale, estime que « tout balayer de ce que nous avons reçu de l’Occident en rêvant de retourner à l’époque de la pierre taillée, c’est ridicule et ces nuances nécessaires, le nouveau prêtre doit pouvoir les expliquer aux jeunes dans sa pastorale pour les éclairer ».

« Restons ici ; trouvons des solutions à nos problèmes »

L’autre défi, ce sont les migrations vers l’Occident. Le Père Pénoukou fait le constat que de plus en plus de jeunes prêtres africains partent vers l’Occident. Il trouve paradoxal que « les jeunes africains partent ces dernières années en si grand nombre vers l’Occident au moment où ces mêmes jeunes disent vouloir rompre avec ce même Occident ». « Certains s’y prennent même au prix de leur vie, en bravant la Méditerranée » s’étonne-t-il.

Sur la situation spécifique des prêtres, s’il admet que certains y vont, à juste titre, soit pour des missions d’études ou missions pastorales ou encore pour raison de santé ou pour prendre temporairement de distance compte tenu de diverses situations, il s’indigne, en revanche, qu’il y ait « des prêtres qui partent sans aucune autorisation de leur évêque ». À cette allure, s’inquiète le Père Pénoukou, « nos évêques auront de plus en plus de problèmes avec leurs prêtres ». Que faire ?

« Restons ici ; cherchons et trouvons des solutions locales à nos problèmes ; cette aspiration à l’ailleurs pour des commodités matérielles, la richesse, n’est pas digne d’un prêtre » tonne le Père Pénoukou. Et de recommander : « jeunes prêtres, souvenez-vous toujours que le sacerdoce est un don de Dieu. C’est une mission, un service. On ne se donne pas la mission ; on la reçoit ».

Sortir des bureaux

« Qu’on soit jeune ou vieux, aujourd’hui, on ne peut plus échapper aux réseaux sociaux », constate le Père Hazoumè. Ainsi, « beaucoup de prêtres et même des évêques lisent le bréviaire sur leur téléphone portable ». Pourtant, recommande-t-il, « chacun de nous prêtres, les plus jeunes surtout, doit faire l’effort de dominer la chose et non de se laisser dominer par ça ».

Cet équilibre implique, semble-t-il, une reconnexion avec les ouailles dans leur quotidien. « Il faudrait sortir des bureaux de paroisse. Nous sommes encore des bureaucrates » dénonce le Père Pénoukou. « Pour moi, le souci primordial aujourd’hui, c’est que l’évangélisation soit organisée, planifiée et que Dieu soit enseigné en intégrant les défis qui étouffent les gens » assure le Père Pénoukou qui appellent les pasteurs à inventer des réseaux de solidarités pour aider les plus pauvres.

Sur le même registre, le Père Hazoumè recommande aux prêtres la sobriété. « Nous devons être sobres dans notre apparence, dans notre relation avec les gens car nous scandalisons beaucoup de nos fidèles dans la recherche effrénée de l’argent ; or, eux aussi souffrent ». Enfin, à la question « que peut apporter l’Église en Afrique aujourd’hui à l’Église universelle à travers ses nouveaux prêtres ? » la réponse des deux prêtres est unanime.

« Après la réaction ferme des évêques africains sur la question de la bénédiction des couples homosexuels, beaucoup de gens m’ont dit en France : ‘‘L’Église en Afrique a sauvé l’Église universelle’’ » témoigne le Père Hazoumè, en mission Fidei donum en France depuis 2019. Il estime alors que ce qui est attendu de l’Église en Afrique aujourd’hui, c’est de « maintenir la clarté de l’Évangile face à la dictature du relativisme ». Au Père Pénoukou de renchérir : « ce que l’Église en Afrique doit faire, c’est de rester fidèle à ce que nous avons reçu et le vivre dans son authenticité ».

Par Juste HLANNON/LCI

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