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Gestion du terrorisme en Côte d'Ivoire

Erwan Florian Kouame : « La gestion du terrorisme en Côte d’Ivoire pourrait servir de modèle »

Par Arnauld KASSOUIN
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La gestion du terrorisme en Côte d’Ivoire est révélatrice d’une résistance nouvelle. En réalité, malgré les fragilités sécuritaires que présente le pays, il semble mieux contenir la menace. Cependant, les dynamiques politiques régionales entravent la stabilité interne du pays. Cet entretien a été l’occasion pour Erwan Florian Kouamé, analyste politique, d’exposer une analyse caricaturale de la politique sécuritaire du pays et des implications géopolitiques.

Bénin Intelligent : L’avènement de l’Alliance des États du Sahel a remodelé les dynamiques sécuritaires des pays de la Cedeao. Comment évaluez-vous, à cet égard, l’impact de ce nouveau paradigme sur la sécurité régionale ?

Erwan Florian Kouame : L’émergence de l’Alliance des États du Sahel est un phénomène à multiples facettes. En se regroupant, ces pays manifestent une volonté de prendre les rênes de leur propre sécurité, ce qui peut sembler positif en termes d’autonomie. Cependant, cela peut aussi exacerber les tensions avec les membres de la Cedeao qui aspirent à une approche plus intégrée et collective. La question de la légitimité de l’Alliance est cruciale : jusqu’à quel point des régimes militaires, souvent contestés sur le plan démocratique, peuvent-ils revendiquer une véritable capacité à lutter contre le terrorisme ? En parallèle, la Cedeao en tant qu’entité régionale plus traditionnelle, doit trouver sa place face à cette nouvelle dynamique. La coexistence de ces deux approches pourrait créer des frictions, notamment en ce qui concerne le partage des renseignements et des ressources, essentiels pour lutter efficacement contre le terrorisme.

Sachant que l’instabilité politique contribue à l’expansion du phénomène terroriste, doit-on craindre l’émergence de groupes armés non conventionnels aux abords des pays du golfe de Guinée ?

L’instabilité politique qui ébranle la région sahélienne depuis quelques années a créé une véritable fragilité à travers l’Afrique de l’Ouest. Avec les récents coups d’État au Mali, au Burkina Faso et au Niger, les gouvernements sont devenus plus préoccupés par leur survie interne que par la lutte contre les menaces transfrontalières comme le terrorisme. Cette situation laisse des espaces « vides », où les groupes armés peuvent se déplacer et s’installer plus librement, profitant de l’affaiblissement des États pour étendre leur influence.

Ce contexte fragilise particulièrement les pays du Golfe de Guinée, comme la Côte d’Ivoire, qui ont jusqu’ici réussi à rester relativement stables. Avec la déstabilisation de leurs voisins, la menace terroriste se rapproche. L’instabilité des régimes au nord détourne les ressources de la sécurité régionale et rend les frontières plus vulnérables. Les groupes armés, eux, exploitent cette situation là où l’État peine à imposer son autorité, ils peuvent recruter parmi des jeunes délaissés et traverser des frontières moins surveillées pour pénétrer de nouveaux territoires. Ces groupes armés deviennent habiles à jouer sur les frustrations sociales et les besoins économiques insatisfaits pour attirer des partisans, ce qui risque d’entraîner des insécurités plus marquées aux abords du Golfe de Guinée.

Et c’est ici que le vrai défi se dessine pour les États côtiers. La menace est trop vaste et les ressources nationales souvent limitées. Alors que les réseaux criminels et les mouvements armés ne se soucient pas des frontières. La mise en place d’une réponse collective, semble donc essentielle. Mais ces initiatives, pourtant bien intentionnées, se heurtent aux rivalités et à la défiance entre États. Face à cela, les États du Golfe de Guinée n’ont pas d’autre choix que de rester vigilants et de renforcer leurs propres défenses, tout en s’efforçant de construire une coopération avec les pays voisins.

La Côte d’Ivoire, en raison de sa proximité avec le Mali et le Burkina Faso, est gravement exposée à l’extrémisme violent. Qu’est-ce qui expliquerait, selon vous, sa distinction dans la gestion de la lutte contre le terrorisme ?

La Côte d’Ivoire a su se démarquer dans sa gestion de la lutte contre le terrorisme, malgré sa proximité avec des pays en proie à une violence extrémiste croissante comme le Mali et le Burkina Faso. Cette distinction repose sur une combinaison de stratégie militaire, de coopération régionale et d’implication des communautés locales, une approche qui reflète un effort de prévention en profondeur.Tout d’abord, le pays a rapidement réagi à la menace terroriste en renforçant sa présence militaire et sécuritaire dans les zones nord du pays.

La surveillance a été intensifiée dans des zones vulnérables comme Kafolo, Téhini et Doropo, où des postes de contrôle ont été établis et les effectifs de sécurité augmentés. Ces efforts permettent de limiter les infiltrations de groupes armés tout en dissuadant les attaques potentielles.Au-delà de l’aspect militaire, la Côte d’Ivoire a également adopté une stratégie de renseignement solide, qui se traduit par une coopération étroite avec des partenaires régionaux.

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Réactivité militaire et soutien communautaire

Consciente de la complexité de la menace terroriste, elle travaille en coordination avec ses voisins et organisations comme la Cedeao pour partager les informations et planifier des opérations concertées. Cette capacité à coopérer est précieuse, car elle permet de surveiller les mouvements des groupes armés au-delà des frontières ivoiriennes.

En parallèle, l’engagement avec les communautés locales est un pilier fondamental de la stratégie ivoirienne. Les autorités ont compris que la lutte contre le terrorisme ne pouvait pas reposer uniquement sur les forces de sécurité, mais nécessitait l’implication des populations locales. En investissant dans des programmes de sensibilisation et en encourageant le dialogue communautaire, elles créent un climat de confiance et d’entente, notamment sur les risques de radicalisation au sein des jeunes, souvent les plus exposés aux influences extrémistes.

Enfin, la Côte d’Ivoire s’est engagée dans des initiatives de développement économique et social, particulièrement dans le nord du pays. Ces projets visent à atténuer les frustrations économiques qui peuvent servir de levier aux groupes radicaux pour recruter. Les efforts de développement permettent de stabiliser les communautés et de fournir des alternatives viables aux jeunes en quête d’emploi ou de perspectives.Ce qui distingue la gestion du terrorisme en Côte d’Ivoire, c’est donc cette capacité à répondre à la menace terroriste par une approche holistique, qui combine réactivité militaire, renseignement régional et soutien communautaire.

Selon vous, quelles sont les principales mesures anti-terroristes qui contribuent à la stabilité observée dans les régions du nord de la Côte d’Ivoire, telles que Tingréla, Kafolo, Tougbo, Téhini, Doropo et Bouna ?

La relative stabilité observée dans les régions du nord de la Côte d’Ivoire repose sur une stratégie anti-terroriste intégrée qui allie sécurité, renseignement, développement local et dialogue communautaire. Tout d’abord, le renforcement de la présence militaire, avec des postes de contrôle et des patrouilles renforcées dans les zones frontalières, permet de limiter les infiltrations de groupes armés. En outre, il faut avouer que la gestion du terrorisme en Côte d’Ivoire, s’appuie sur un réseau de renseignement solide et une coopération régionale, en collaborant avec des pays voisins comme le Burkina Faso et le Ghana pour surveiller les mouvements des groupes terroristes. L’engagement des communautés locales constitue également un élément clé de cette stratégie ; des campagnes de sensibilisation encourageant les habitants à signaler toute activité suspecte, créant ainsi un climat de confiance où les populations deviennent des partenaires dans la sécurité.

Simultanément, des investissements dans le développement économique et social visent à améliorer les conditions de vie dans ces régions. Des programmes agricoles, éducatifs et de formation professionnelle sont mis en place pour offrir aux jeunes des alternatives économiques et renforcer la résilience des communautés face aux menaces.

Enfin, la formation des forces de sécurité joue un rôle crucial, leur permettant d’intervenir rapidement et efficacement en cas de menace, grâce à des entraînements réguliers. En combinant ces différentes mesures, la Côte d’Ivoire parvient à maintenir une stabilité dans ces zones sensibles et à se prémunir contre l’expansion de l’extrémisme violent, tout en réalisant les bases d’une résilience durable.

Pensez-vous que la gestion du terrorisme en Côte d’Ivoire pourrait servir de modèle, en particulier en ce qui concerne l’investissement dans des stratégies innovantes ?

La gestion du terrorisme en Côte d’Ivoire pourrait effectivement servir de modèle pour d’autres pays de la région. En vérité grâce à ses stratégies qui allient sécurité, développement communautaire et prévention, elle peut servir de modèle. Cette approche intégrée offre des enseignements précieux sur la manière de traiter les défis sécuritaires de manière holistique.Tout d’abord, la Côte d’Ivoire a démontré l’importance de renforcer la présence sécuritaire tout en veillant à établir des relations de confiance avec les communautés locales.

En investissant dans des campagnes de sensibilisation et en impliquant les populations dans la lutte contre le terrorisme, le pays a réussi à créer un réseau de soutien local qui facilite le partage d’informations et permet de détecter les menaces avant qu’elles ne se concrétisent. Cette dynamique de coopération entre les forces de sécurité et les communautés est un aspect crucial qui pourrait être reproduit ailleurs, en particulier dans des contextes où la méfiance entre l’État et la population est forte. Deuxièmement, l’approche proactive de la Côte d’Ivoire en matière de développement économique et social constitue un exemple à suivre.

Approche nouvelle

En identifiant les causes profondes de la radicalisation, telles que le chômage et le manque d’opportunités pour les jeunes, le pays a mis en place des programmes qui visent à améliorer les conditions de vie. Ces initiatives, qui créent des alternatives viables à l’engagement dans des activités extrémistes, montrent qu’investir dans le développement socio-économique est tout aussi important que les mesures sécuritaires.

De plus, la coopération régionale que la Côte d’Ivoire établit avec ses voisins, dans un contexte où les menaces transcendent les frontières, est un autre aspect à valoriser. Le partage d’informations et de bonnes pratiques entre États est essentiel pour créer une réponse collective à la menace terroriste. Cela pourrait inspirer d’autres pays à développer des mécanismes similaires de collaboration régionale. Enfin, la formation continue des forces de sécurité et leur capacité à s’adapter aux réalités locales est un autre élément clé de cette approche. En investissant dans des stratégies et en restant à l’écoute des besoins des populations, la Côte d’Ivoire illustre qu’il est possible d’avoir une approche à la fois rigoureuse et humaine dans la lutte contre le terrorisme.

La Côte d’Ivoire fait-elle face à des défis spécifiques dans sa politique de résolution des conflits liés au terrorisme ?

La Côte d’Ivoire fait face naturellement à des défis dans sa politique de résolution des conflits liés au terrorisme. Malgré bien sur ses efforts notables pour prévenir et gérer cette menace. Ces défis sont liés à des facteurs endogènes et exogènes qui compliquent la situation sécuritaire et rendent la réponse à l’extrémisme violent plus complexe.

De prime abord, la proximité avec des zones de conflit dans le Sahel, notamment le Mali et le Burkina Faso, constituent un défi majeur. La déstabilisation de ces pays entraîne de facto un afflux potentiel de groupes armés et de combattants vers la Côte d’Ivoire. Les frontières poreuses entre ces pays facilitent le mouvement des groupes terroristes, rendant difficile le contrôle des activités criminelles transfrontalières et le partage efficace d’informations sur les menaces.

Ensuite, l’héritage de la crise politique et sociale que la Côte d’Ivoire a connue dans le passé continue d’influencer la dynamique actuelle. Les « divisions » politiques, ethniques et sociales subsistantes peuvent exacerber les tensions et créer des conditions propices à la radicalisation. La méfiance envers les institutions étatiques peut également entraver les efforts de sensibilisation et de coopération entre les forces de sécurité et les communautés locales. Dans un contexte où la population a déjà été affectée par des violences passées, gagner la confiance des citoyens reste un défi essentiel.

L’initiative d’Accra visait à mutualiser les efforts des États ouest-africains pour contrer l’expansion du terrorisme. Sept ans après son lancement, pourquoi cette initiative peine t-elle à s’imposer ?

L’initiative d’Accra, lancée pour mutualiser les efforts des États ouest-africains contre le terrorisme, peine à s’imposer pour plusieurs raisons interconnectées. D’entrée de jeu, le manque de coordination et de synergie entre les pays membres constituent un obstacle majeur. Chaque État a ses propres priorités et stratégies de sécurité, ce qui complique l’établissement d’une réponse unifiée. Les opérations sont souvent désynchronisées et la communication entre les forces de sécurité limitée. Ce qui réduit l’efficacité des interventions.

Ensuite, la mise en œuvre de l’initiative d’accra nécessite des ressources financières et logistiques considérables. Or, de nombreux États de la région souffrent de difficultés économiques qui limitent leur capacité à investir dans des mesures de sécurité robustes. Le manque de financements durables et de soutien logistique entrave la mise en œuvre des initiatives de lutte contre le terrorisme. Sans une aide financière adéquate, il est difficile de maintenir une réponse sécuritaire efficace sur le long terme.

En sus, l’instabilité politique dans certains pays est un autre facteur qui compromet l’efficacité de l’initiative d’activité. Des crises politiques internes, des coups d’État ou des conflits internes peuvent détourner l’attention des gouvernements des questions de sécurité collective. Cette instabilité peut également créer des conditions favorables à l’expansion des groupes armés, rendant les objectifs de l’initiative encore plus difficiles à atteindre.En outre, le paysage sécuritaire en Afrique de l’Ouest est complexe et est en constante évolution. Les menaces terroristes ne sont pas homogènes et varient d’un pays à l’autre, allant de la radicalisation locale à l’infiltration de groupes transnationaux comme Aqmi ou Boko Haram. Cette diversité des menaces rend difficile l’élaboration d’une stratégie unique qui soit efficace pour tous les États membres.

Nécessité d’une stratégie régionale

Les questions de souveraineté représentent également un défi important. Les États sont souvent réticents à partager des informations sensibles sur la sécurité ou à coordonner des opérations militaires sur leur territoire en raison de préoccupations liées à la souveraineté nationale. Cette méfiance peut limiter la coopération bilatérale ou multilatérale nécessaire pour une réponse efficace aux menaces terroristes, car les pays hésitent à laisser d’autres États intervenir dans leurs affaires internes.

Enfin, l’absence d’une vision commune et d’objectifs clairement définis parmi les membres de l’initiative complique l’établissement d’un cadre de coopération solide. Les divergences d’intérêts et d’approches peuvent conduire à des désaccords sur les priorités stratégiques, affaiblissant ainsi l’engagement collectif. Pour que l’initiative d’Accra devienne plus efficace, il est donc crucial que les États membres renforcent leur engagement à collaborer et à développer des mécanismes adaptés aux réalités régionales. Cela nécessite non seulement un renforcement des capacités opérationnelles des forces de sécurité, mais aussi un investissement dans le développement socio-économique des zones vulnérables pour s’attaquer aux causes profondes de l’extrémisme. En favorisant une approche inclusive et en construisant des ponts de confiance entre les États membres, l’initiative d’Accra pourrait finalement réaliser son potentiel dans la lutte contre le terrorisme en Afrique de l’Ouest.

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