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“Ainsi parle Patrice Talon” : Lecture critique du professeur Okri Pascal Tossou

Par Sêmèvo Bonaventure AGBON
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Okri Pascal Tossou‚ écrivain‚ critique littéraire et professeur titulaire de Littérature française a donné‚ samedi 26 février 2022‚ une communication sur le dernier ouvrage commis par l’ancien journaliste analyste politique‚ actuel secrétaire général adjoint et porte-parole du gouvernement. Il l’a intitulée : “Lancement de Ainsi parle Patrice Talon de Wilfried Léandre Houngbédji : Analyse lexicale du discours du président Patrice Talon”. Bénin Intelligent a obtenu l’intégralité du texte que voici. 

I/ Balises préliminaires

Ainsi parle Patrice Talon offre au public un volume d’extraits de discours d’un sujet parlant, en l’occurrence le Président de la République du Bénin, son Excellence, Patrice Talon. L’avant-propos de l’auteur du livre, Wilfried Houngbédji, distille un ethos prédiscursif favorable à l’orateur, notamment lorsqu’il dit de lui que « ses mots sont enrobés d’un optimisme puissant, d’un désir frappant de réussite individuelle et collective, d’un sens de responsabilité affirmé, d’une fierté assumée. » (p.8.)

L’orateur dans cet ouvrage, ce n’est donc pas Wilfried Houngbédji. Non. L’orateur, le sujet parlant dans ce document, c’est Patrice Talon. En dehors de la préface de Houngbédji, ce sont des extraits de discours d’un homme politique qu’il nous est donné de découvrir. Du coup, cet ouvrage accroche le lecteur désormais curieux, curieux de regarder ce qui s’y trouve !

S’il est vrai que la palette des citations politiques a révélé des personnalités politiques comme Gandhi, Sankara, Mandela ou Obama, et que des ouvrages tels que 100 grandes citations politiques expliquées de Paul Desalman et Philippe Forest, ou même Les grands discours politiques en 50 citations clés pour les nuls de Florent Vandepitte traitent de la question, aucun d’eux ne l’entrevoit du point de vue panoramique et en option monographique. C’est donc déjà là la particularité du document de Wilfried Houngbédji. Tenu, assidu, fin, cisailleur comme de l’intérieur d’une forge, le journaliste de souche a patiemment cueilli les fleurs de son bouquet, sans exclure même celles qui peuvent prêter le flanc à la polémique, notamment le réputé : « J’ai un nouveau défi. Celui de réussir à la tête du Bénin des miracles » (p.65.), connu de la majorité des Béninois. Ceci est la marque du travail de quête et de tissage du journaliste politique.

Couverture de l'ouvrage "Ainsi parle Patrice Talon" de Wilfried Léandre Houngbédji

Couverture de l’ouvrage “Ainsi parle Patrice Talon” de Wilfried Léandre Houngbédji

 

II/ Ouvrons le livre

A la lecture, le document permet de circonscrire un ethos discursif, c’est-à-dire une espèce de portrait de l’orateur, orateur cette fois en situation de communication.

En ces 112 pages, par le procédé de la trajectoire « A à Z » de l’alphabet, de grands champs de la pensée de l’actuel Président de la République du Bénin se déploient, pour le compte de l’intervalle de gestion 2016 – 2021. Nous en dégageons, au nombre des nombreux alliages possibles, trois, qui à notre sens, reflètent suffisamment ce que nous appelons dans notre jargon de la réception critique, « le mythe personnel » de l’écrivain, c’est-à-dire les carrefours majeurs où la pensée de celui-ci, ses convictions voire ses actes manqués se posent. Globalement en effet, le corpus charrie deux isotopies antinomiques, puis l’épiphanie d’une posture. Ce sont :

•le vieux vêtement des habitudes régressives au Bénin que connotent les variantes « difficultés, facilité, échec, gabegie, populisme, corruption, laxisme, douleur, travers, sous-développement, anarchie, béninoiserie, calomnies, impunités… ». Ceci, pour une mise à l’index des maux dont le Bénin souffre ;

•le nouvel élan à cultiver, que distille la sémantique du succès à travers « rêver, succès, réussite, dynamique, patrie, prospérité, avenir, noblesse, union, courage, efforts, action, mission, rigueur, travail, honneur ».

•la fonction de leader-serviteur.

Le deuxième axe qui sous-entend le premier, désormais comme un impératif catégorique, passe par le sceau de la « bonne gouvernance », expression d’ailleurs plusieurs fois sollicitée dans l’ouvrage : « C’est la bonne gouvernance qui demande de renoncer à la facilité et au populisme pour mettre la rigueur et le sérieux au cœur de l’action publique. » (p. 19.)

Dès lors, d’un cocktail fait de pics poétiques, de trope communicationnel, de charges rhétoriques, de préférences lexicales, plus que par une simple invitation, Patrice Talon convoque tous ses compatriotes non seulement à l’éveil et à l’engagement, mais surtout au sens de responsabilité, quoi que cela leur coûte. Ce qui vaut pour « incipit », c’est-à-dire premiers mots du texte, cristallise déjà un des aspects primordiaux des préoccupations du sujet parlant : c’est le substantif « actes ».

Tout se sédimente donc dans ce qu’il convient d’appeler le chapitre « A » dans l’ouvrage, notamment en ses variantes « actes », « agir », ambition », « attente », « avenir », ou encore « audace ». Car pour le locuteur, d’un mental de conquérant, « il n’y a pas d’ambitions trop grandes pour un Etat, de même qu’il n’y a pas d’épreuves qu’il ne puisse surmonter. » (p. 11.)

Et puisque « rien de grand ni de beau, rien de durable ne s’obtient sans l’effort requis, sans l’investissement obstiné, sans l’organisation rigoureuse » (p.34.), l’élan vers le succès nécessite un travail de forge dont « construire, devoir, devenir, bâtir, premier… » rendent compte, ici comme des évaluatifs axiologiques.

Mais pour y arriver, il faut un leader charismatique, un capitaine. Et l’hypogramme du leader constitue la poutre principale qui porte le document. : « je veux vous dire ma fierté de voir notre équipe, l’équipe Bénin, reprendre confiance en elle-même et recommencer à gagner. Être le capitaine d’une telle équipe de femmes et d’hommes travailleurs, de plus en plus intègres, est la plus belle chose qui me soit arrivée. » (p.36.)

Le sujet parlant, Patrice Talon, se propose donc « capitaine », en motivant, aux contours de la fonction phatique en communication, tous ses compatriotes, en vue d’un vivre ensemble harmonieux courageusement conquis. En clair, on l’appréhende en posture de leader-serviteur déterminé pour le Bénin, que le discours revendique très souvent par une forte marque d’attachement, notamment dans « le Bénin mon pays » (p.29.), « notre pays » (p.29.), « notre peuple » (p. 7.), « Notre nation » …, avec un possessif passant contextuellement du singulier au pluriel, mais aussi sur fond de fierté individuelle et collective :  « Solidaires dans l’effort [dit-il], pour relever les défis du progrès et du vivre ensemble, c’est la marque des grands peuples et nous en sommes, bien sûr, un » (p.30.) Et plus loin : « Comme nous voulons être le meilleur en toutes choses, nous voulons que Ganvié, quand ce sera fait, soit le meilleur village lacustre à visiter par le monde. » (p.64.)

Dans ces conditions, tout le texte infère de la pragmatique, constamment entretenue par la visée argumentative du discours, car chez le sujet parlant, dire, c’est en même temps faire, pour signifier qu’ici, la compétence verbale chez Patrice Talon chemine avec une idéologie de l’action de bout en bout revendiquée. C’est alors que des glorieuses de la République du Bénin sont sollicitées et/ou convoquées dans le corpus en définitive ponctué de façon mnémotechnique par des socles de l’Histoire du Bénin, notamment l’Hymne national, la Conférence Nationale des Forces Vives de la Nation, la Démocratie, les Trésors royaux, la Fête nationale etc. Puisque pour le Président Patrice Talon, « Seul le Bénin est éternel » (p.16.), une subordonnée assumant du même coup une fonction sociodiscursive qui suspend tout glissement sémantique.

Par ailleurs, la scène d’énonciation est pour l’orateur d’un enjeu capital d’autant que les discours sont livrés, tout contexte réuni, face à une mosaïque d’interlocuteurs composée du peuple béninois en général, mais aussi, selon les circonstances, d’Hommes de droit, de magazines étrangers, de la Presse internationale, de Corps constitués, autant de références qui en créditent la trempe.
Mais le discours de Patrice Talon, ce n’est pas toujours au travers d’un gant de velours qu’on le rencontre. Le ton monte parfois, un peu ou beaucoup trop selon les convenances. Oui, parfois le ton monte, au point de trahir la colère du sujet parlant. Dans le contexte des grèves manifestement intempestives par exemple, l’Autorité statue, sentencieux :

« Aucun pays ne peut se développer avec des écoles, des hôpitaux et une fonction publique en grève une semaine sur deux tout au long de l’année. Certes, vu de l’étranger, le Bénin était une démocratie pagailleuse, sympathique et démunie à qui on jetait des miettes de pain pour se donner bonne conscience. Certains ont trouvé leur compte dans cette anarchie nourrie de mendicité. Moi, non et c’est toute la différence. » (p.43.)

Dans cet extrait, les syntagmes nominaux « démocratie pagailleuse », « miettes de pain », « anarchie nourrie de mendicité », forcément modalisateurs, campent la rupture du sujet parlant avec une tradition de complaisance aux résultats peu féconds. Nous tenons un autre exemple dans l’occurrence « Multipartisme », quand les projets de réformes étaient combattus, de bonne ou de mauvaise foi, par les uns ou les autres :

« Cette réforme était redoutée parce que, inévitablement, elle remettait en cause les acquis des acteurs d’un multipartisme débridé que nous avons cultivé depuis bientôt 30 ans, et qui est la cause principale d’une mauvaise gouvernance, source de notre sous-développement. » (p.66). Cependant, la décrispation ne tarde pas à venir, parfois au détour d’une charge rhétorique :

« Je souhaite que Dieu accorde longue vie aux uns et aux autres, tout au moins les 3 ou 4 ans prochains. Que nous allions visiter le siège du nouveau parlement et en rentrant, se prosterner devant la dépouille mortelle, le sarcophage témoin de nos travers si récents mais déjà si lointains. Est-ce que ce n’est pas cela ? Nos faiblesses, nos travers si récents mais déjà si loin de nous. En 4 ans, nous avons conjuré ce mauvais sort, en 4 ans nous avons engagé une nouvelle dynamique, notre renaissance ! » (p.89.)

Dans cet extrait, allitérations, assonances, métaphore et séquence anaphorique se télescopent, mais toujours dans un moule de pragmatique. Car le verbe dégage un pouvoir, avec ici l’épidictique mis au service de l’argumentativité. On le voit, loin de toute violence verbale et de toute dissension, l’orateur professe un patriotisme fécond autour d’une cause commune : le Bénin.

A mon sens, le péritexte a lancé l’œuvre, non seulement par la qualité de la forme, mais aussi par la classe des icônes. Pour Ruth Amossy, « toute prise de parole implique la construction d’une image de soi. […] [et le] style [du locuteur], ses compétences langagières et encyclopédiques, ses croyances implicites suffisent à donner une représentation de sa personne. »

Dans Ainsi parle Patrice Talon, en plus de la représentation discursive que nous venons de visiter, la symbolique iconique, en dehors de l’image en première de couverture (image administrativement bien connue des Béninois), se déploie en vingt-deux photos, tous angles attendus. Patrice Talon institutionnel, Patrice Talon fonctionnel, en foule, l’air grave, relaxe, décontracté, de toute élégance.

Ainsi parlait Zarathoustra chez le philosophe allemand Nietzsche. Là, le verbe est à l’imparfait de l’indicatif. Et fait passé. Ainsi parle Patrice Talon : ici le verbe est au présent. Et fait actuel. Ce pont interdiscursif ne me paraît pas innocent : il élève l’ouvrage de Wilfried Houngbédji, par l’analogie des effets de titre, à un niveau noble de l’encyclopédie lectante universelle.
Chers invités, il reste donc que l’épitexte (forcément constitué de vos retours de lecture, d’interviews, de commentaires…) garantisse à cet ouvrage le terrain des causeries et/ou des débats fertiles, au centre desquels, je l’espère vivement, seul comptera l’intérêt de notre nation commune, le Bénin. Veuillez bien vous servir donc, illustres invités-lecteurs. Très bel appétit à vous !
Je vous remercie.

Okri Pascal TOSSOU
26/02/2022

 

Bibliographie

-AMOSSY, Ruth, -Apologie de la polémique, Paris, Presses Universitaires de France, 2014.
-L’argumentation dans le discours, Paris, Nathan/HER, 2000.
-Images de soi dans le discours, la construction de l’éthos, Lausanne/Paris, Delachaux et Niestlé, 1999.
-CARPENTIERS, Nicolas, La lecture selon Barthes, Paris, L’Harmattan, 1998.
-COGARD, Karl, Introduction à la stylistique, Paris, Flammarion, 2001.
-DESALMAN Paul, FOREST Philippe, 100 grandes citations politiques expliquées, Paris Marabout, 1992.
-FONTANIER, Pierre, Les Figures du discours, Paris, Flammarion, 1977.
-HOUNGBEDJI, Wilfried Léandre, Ainsi parle Patrice Talon, Paris, L’Harmattan, 2021.
– http://www.signosemio.com/riffaterre/generation-du-texte.asp du19/05/14.
-https://ptvirgule.hypotheses.org/2023, du 24/01/22.
-KERBRAT-ORECCHIONI, Catherine, L’Enonciation, Paris, Armand Colin/VUEF, 2002
-MAINGUENEAU, Dominique, Linguistique pour le texte littéraire, Paris, Nathan, 2003.
-NIETZSCHE, Friedrich, Ainsi parlait Zarathoustra, Paris, G.F, 2006.
-RABAU, Sophie, L’Intertextualité, Paris, Garnier Flammarion, 2002.
-Okri Pascal TOSSOU, Corpographie et corpologie, Cotonou, Plumes Soleil, 2019.
-VANDEPITTE Florent, Les grands discours politiques en 50 citations clés pour les Nuls, Paris, First, 2020.

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