Le renoncement de Macky Sall à un troisième mandat est une décision courageuse, salue l’analyste burkinabè Maixent Somé. Néanmoins, les suspicions préélectorales avaient sévèrement secoué la démocratie sénégalaise. L’Afrique de l’Ouest francophone « balayée par des vents mauvais depuis une dizaine d’années » avait intérêt que le Sénégal ne sombre dans l’instabilité politique. A cet effet, l’analyste identifie trois défis à présent et plaide surtout en faveur d’un accorde politique favorable à la candidature des principaux adversaires dont Karim Wade, Khalifa Sall et Ousmane Sonko.
Propos recueillis par Arnauld KASSOUIN
Bénin Intelligent : Quelle est votre perception de la décision du président Macky Sall de ne pas se représenter pour un troisième mandat ?
Maixent Somé, analyste politique : Je pense que c’est une décision sage et courageuse. Hier, il a reçu plus de 500 élus et membres de sa coalition venus lui répéter leur soutien indéfectible à sa candidature.
Cela n’a pas dû être facile de les convaincre de sa décision. Et ce d’autant plus que contrairement à Mahamadou Issoufou au Niger ou Muhammadu Buhari au Nigeria, il n’a pas choisi et préparé un dauphin dans son camp, à moins d’un an des élections.
L’expérience montre que les partisans et les courtisans sont souvent plus déterminés que les présidents eux-mêmes pour leur maintien au pouvoir.
Quels sont, selon vous, les principaux défis auxquels le Sénégal pourrait être confronté sur le plan socio-politique suite à cette décision ?
La démocratie sénégalaise a été très secouée. Il y a eu plusieurs morts lors des manifestations de ces deux dernières années. Des journalistes sont mis en prison. La violence s’est introduite dans la vie politique sénégalaise. Les institutions sont remises en cause. La justice en particulier sort affaiblie et décrédibilisée de cette séquence. L’urgence est de restaurer la crédibilité des institutions et l’autorité de l’État.
L’autre défi pour le Sénégal sera la gestion de la rente pétrolière et gazière qui va bientôt arriver. Cela peut être un formidable facteur de développement, ou une pomme de discorde qui va déstabiliser le pays. Les exemples en la matière sont très nombreux sur le continent…
Enfin, le Sénégal doit veiller à ce que son armée reste professionnelle et républicaine pour continuer à préserver son territoire national des infiltrations djihadistes… Mais je reste convaincu que le génie sénégalais saura triompher de tous ces challenges.
Pensez-vous que cette décision pourrait avoir un impact sur les élections de 2024 et les candidats qui se présenteront ?
Pendant deux ans, tout le débat politique au Sénégal n’a tourné qu’autour de l’éventuelle candidature de Macky Sall à un troisième mandat. Si bien que personne n’a parlé du bilan de Macky Sall sur le plan économique qui me paraît très bon malgré la pandémie de la Covid-19 et les conséquences de la guerre en Ukraine.
Les autres candidats n’ont pas suffisamment parlé de leurs programmes. Si bien que tout le monde part sur la même ligne de départ, à moins d’un an de l’échéance électorale.
De ce fait, le candidat que la majorité présidentielle sortante soutiendra aura beaucoup de chances de l’emporter ! C’est pourquoi, bien qu’étant un partisan intransigeant de l’État de droit, je souhaite qu’un accord politique soit trouvé afin que tous les candidats, y compris Karim Wade, Khalifa Sall et Ousmane Sonko puissent se présenter malgré leur situation judiciaire.
C’est la meilleure solution pour purger tous les contentieux.
Au Burkina Faso en 2015 après l’insurrection populaire de 2014, nous avons voté une loi électorale qui a exclu les ténors des partis de l’ancienne majorité des élections. Cela a conduit à un coup d’État qui n’a heureusement duré que 15 jours.
Mais cela a installé un climat délétère et de division qui a permis au terrorisme de s’introduire et de s’enraciner chez nous. Après six ans de pouvoir du président élu Roch Marc Christian Kaboré, nous avons eu deux coups d’État en l’espace de 8 mois ! Et le pays est à la dérive. Les sénégalais doivent méditer cela.
Quelle est votre opinion sur le respect de la limitation des mandats présidentiels en général ?
Si nous sommes incapables de respecter les règles que nous nous sommes données librement, c’est à désespérer de nous ! Nos régimes ne sont pas des régimes parlementaires, mais des régimes présidentiels.
Il faut donc limiter en nombre et en durée les mandats présidentiels pour donner de la respiration à nos démocraties balbutiantes. Sinon, c’est le retour des coups d’État à l’ancienne, ou des insurrections orchestrées depuis les réseaux sociaux. Ce qui est un phénomène nouveau qui change la donne, ou un mélange des deux comme on le voit au Mali et au Burkina Faso. Les présidences à vie, c’est terminé.
Comment évaluez-vous la réaction du public sénégalais face à la décision du président Sall ?
Je suppose que pour le public sénégalais comme pour tous ceux qui, africains ou non africains aiment le Sénégal, c’est d’abord le soulagement qui prime.
Le Sénégal a été pendant longtemps un phare de la démocratie en Afrique francophone. La démocratie sénégalaise a été très malmenée ces deux dernières années, mais cela a commencé en réalité lors du dernier mandat du président Wade.
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L’Afrique de l’Ouest francophone est balayée par des vents mauvais depuis une dizaine d’années et il est essentiel que le Sénégal tienne et résiste à la tentation de l’instabilité politique.
Car d’un côté, il y a bientôt les revenus du pétrole et du gaz qui vont arriver au Sénégal, aiguisant les appétits. De l’autre, il y a le terrorisme et les coups d’État qui sont en embuscade.
Si le Sénégal lui aussi tombe, cela risque d’entraîner un effet domino dans toute la région. Voilà pourquoi la situation politique sénégalaise nous concerne tous ! Nous devons aider nos frères sénégalais à ne pas succomber à l’appel de la violence.
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