Le professeur Augustin Aïnamon rend hommage à son collègue Adrien Huannou. Il décline ses qualités et résume son parcours à celui d’un «champion des belles lettres mais aussi de l’excellence scientifique et académique». Bénin Intelligent publie en exclusivité l’hommage.
Une petite adresse sous forme d’hommage au Professeur émérite Adrien HUANNOU
- Professeur émérite Adrien HUANNOU,
- Ancien doyen de la Faculté des Lettres, Arts et Sciences Humaines de l’Université Nationale du Bénin,
- Ancien président de l’Académie Nationale des Sciences, Arts et Lettres du Bénin, ANSALB
- Ancien président du Bureau National des Professeurs de Français du Bénin, APFB
- 1er directeur de l’Ecole doctorale Pluridisciplinaire, « Espaces, Cultures et Développement
Cher ami professeur émérite Adrien HUANNOU
C’est avec un immense plaisir et un sentiment de fierté pour nos universités comme hauts lieux du savoir et du savoir-faire que j’ai pris connaissance de ce colloque international, cette célébration de l’excellence, cette cérémonie de reconnaissance internationale et de remise de mélanges, plusieurs fois reportée et enfin organisée, en « hommage costume » et non « posthume », à un cher ami, que j’ai découvert loin d’ici par l’intermédiaire d’un ami commun, le professeur Robert Mane, de vénérée mémoire. Lui, je l’avais rencontré pour la première fois à l’Université Paul Valéry de Montpellier en 1975 au cours de la soutenance de thèse d’un ami, André Tolofon, un ancien du Collège Père Aupiais que le Professeur Adrien Huannou doit bien connaître.
Le Professeur Robert Mane était en poste à l’Université de Pau et des Pays l’Adour, UPPA. Moi-même je finissais une thèse de 3ème cycle à l’Université d de Basse-Normandie à Caen sur le conflit culturel en Afrique et l’œuvre de Chinua Achebe, une thèse classée sous le label « Littérature anglo-saxonne » ou de « littérature anglaise du XXe siècle » à l’Université de Lille où j’avais commencé (les études africaines n’avaient pas encore droit de cité dans cette partie de la France).
Je m’étais inscrit aussitôt pour une thèse d’Etat auprès du même directeur, le professeur Lucien Leclaire sur les études américaines, cette fois. Le professeur Leclaire m’avait fait remarquer que faire deux thèses n’était déjà plus obligatoire en France et qu’une thèse de 3ème cycle n’était pas de rigueur mais comme j’étais engagé dans deux domaines auxquels je tenais presque simultanément j’ai gardé mes deux domaines de recherche, le domaine africain en littérature et le domaine américain en études sociales ou histoire des idées et des institutions, pour faire une bonne jonction avec mes premières préoccupations africanistes (social studies).
«Vous avez un doyen formidable…»
Je ne savais pas que le professeur Leclaire, qui devait prendre sa retraite, allait me confier à son plus jeune collègue, le professeur Robert Mane qui dans la même période a été affecté à Paris avec son épouse Josette Mane, passionnée elle-même par les domaines africain et caribéen.
J’ai découvert alors un couple formidable, aux réseaux multiples au bon sens du terme, qui allait à leur tour me faire découvrir, de loin déjà, un ami formidable lorsque j’avais décidé de réintégrer le bercail après mes multiples navettes entre la France et différents pays africains comme le Gabon et la Côte d’Ivoire. « Vous avez un doyen formidable à la Faculté des Lettres et Sciences humaines » me répondit-il alors. C’est ainsi que mon retour, un peu comme celui de l’enfant prodigue, était annoncé et que je fus reçu en grandes pompes, débarquant en catastrophe alors que l’année académique 1982-1983 était déjà bien avancée
Le professeur Robert Mane à qui j’ai présenté le collègue Codjo Achodé n’a finalement pas conduit ma thèse dont l’orientation a été à nouveau infléchie, à soutenance mais il a dirigé jusqu’à soutenance ce collègue qui a sauté sur l’occasion. Moi j’ai dû me réorienter vers un collègue un peu plus jeune et plus américaniste, le professeur Claude Julien, que j’ai rencontré pour la première fois en 1976, autour des journées américaines du professeur Michel Fabre, une figure incontournable dans le domaine américain en France.
Claude Julien est d’abord un ami et je n’avais pas imaginé qu’il finirait par diriger ma thèse car au moment où on s’était rencontré et où on avait même partagé une chambre d’hôtel à Pont-A-Mousson du côté du côté de Nancy, il était agrégé d’anglais mais comme moi n’avait pas encore soutenu sa thèse de doctorat d’état, donc n’était pas encore habilité à diriger des recherches à ce niveau. Tout cela s’est fait assez promptement. La suite est connue et le professeur Claude Julien est même arrivé à l’UAC pour une série de soutenances de thèses en 2009.
Un vaste champ à explorer
Pour revenir à l’objet des présentes manifestations, le thème aussi porteur que les organisateurs ont choisi « Histoire, Langues et Cultures au service du développement », rappelle à tous points le titre de l’ouvrage que le professeur Adrien HUANNOU a publié à l’issue du colloque des 21, 22 et 23 août 2018 à Dangbo, « Le Pays WEME D’HIER A DEMAIN : HISTOIRE, CULTURE ET DEVELOPPEMENT »
Dans la même période, j’organisais moi-même avec un groupe de recherche pluridisciplinaire dans le cadre du festival international des peuples du Bénin, FIP-Bénin, commémorant les 300 ans de la disparition de Gbaguidi Ahossou-Soha, fondateur de l’ancien royaume de Savalou (1595-1718) qui a traversé de son vivant tout le 17ème siècle). Le thème de notre colloque qui s’est tenu un peu plus tard dans cette année 2018 était « Etude des mouvements migratoires au Bénin : Savalou face aux défis du développement du Bénin, d’hier à demain »
Deux des participants de Dangbo étaient aussi au Colloque tenu quelques semaines plus tard à Savalou parce qu’ils se penchaient sur des thèmes qui se croisaient au cours des deux colloques. J’ai découvert d’ailleurs après les deux colloques et après la lecture de l’excellente contribution de l’Abbé Luc Quenum sur « ORIGINES ET PEREGRINATIONS DE LA FAMILLE QUENUM », qu’un des 4 rejetons de l’ancêtre légendaire des Quenum, Houéhoun ou Houénou, roi de Tosso, retenus par l’histoire, qui s’appelait Bossikpon est devenu un ancêtre divinisé sans que l’on sache trop pourquoi (Akaba un des rois du Dan Xome est devenu une divinité, les Akabassi étant ses adeptes). Bossikpon est une des principales divinités du Roi Gaguidi Ahossou-Soha dans toute la région de Savalou et ailleurs dans les collines, recevant les mêmes cultes que les vodouns Dan et Toxosu, dont les adeptes Dansi et Toxosi donnent des noms comme « TOSSOU, TOSSA, TOGNON, TOÏVI, TOXUEVI, etc., à leurs rejetons.
Il reste là un vaste champ d’investigation à explorer, tout comme l’origine des vocables WEME et WEMENU qui n’ont apparemment rien à voir avec le nom donné au fleuve Ouémé par les explorateurs européens et qui pour tous les riverains s’appelle WO (Gbaguidi serait né à Damè WOGON près de Bonou, d’un père d’origine Xweda exilé des bords du lac Ahémé et d’une mère Wemenou et la partie du fleuve à cet endroit s’appelle WOGBO (le Grand Wo), parce que c’est là que se trouve le plus grand débit du fleuve.
WEME ET WEMENU évoquent très probablement AYIWEME (terre blanche), toponyme que portent de nombreuses localités sur ce qui va devenir le Plateau d’Abomey ainsi qu’autour du Bassin du Lac Ahémé. Cela donne-t-il une idée des parcours migratoires des populations autour des deux plans d’eau que constituent l’Ouémé et le Nokoué d’un côté et le Couffo dont le lac Ahémé sert de déversoir et le Mono de l’autre ?
Un vaste champ à explorer, tâche à laquelle s’attelle mon groupe de recherche autour de la thématique générale de « Origines et parcours migratoires des peuples MAHI/MAXI du Bénin et d’ailleurs » (populations qui se revendiquent et sont identifiées aujourd’hui comme MAHI/MAXI et qui concernent 8 des 12 départements que compte le Bénin et qui touchent les confins du Borgou et la Donga et débordent sur une importante partie du territoire togolais). Notre travail amorcé par ce colloque de 2018 n’a pas encore pu couvrir les larges pans que nous avons découverts par la suite et concernant les langues, cultures et potentialités des populations dont nous nous sommes occupés.
Bien qu’il n’ait pas été possible de m’associer en présentiel à votre événement exceptionnel à cause de certains contretemps, je tiens à signaler par cette petite adresse en forme d’hommage que le thème retenu par les organisateurs est au centre de mes préoccupations depuis plusieurs décennies.
Quand l’idée du colloque d’hommage avait été lancée il y a plus de deux ans, j’avais apprêté un texte que j’avais confié au Professeur Raphaël Yébou, texte sur la base duquel je comptais faire un témoignage, vu les liens qui me lient au professeur Adrien HUANNOU et dont j’ai brièvement retracé la genèse, puis faire quelques réflexions sur la langue et la culture comme éléments incontournables de tout développement et finir par un plaidoyer pour la nécessité, pour nous au Bénin et en Afrique, d’opérer une réforme fondamentale et approfondie de notre système éducatif et bâtir une nouvelle didactique des langues en partant de nos langues premières dans un contexte multilingue ou bi-plurilingue. Insister sur une bonne politique de langue d’enseignement, PLE, à travers un système éducatif performant, lui-même rendu possible par une gouvernance de qualité me parait être un impératif catégorique pour améliorer notablement le rapport coût-efficacité à l’école et sur le marché du travail.
Je pense vital aussi, au vu du programme du colloque dont je viens de prendre connaissance, d’insister sur la place de la littérature comme principe régulateur de l’activité de l’esprit, pour mieux explorer ensuite des chemins frontaliers et découvrir des territoires inconnus et non comme un système qui verrouille, enferme et circonscrit l’individu dans un domaine où il est labellisé, j’allais même dire, étiqueté et où il lui est pratiquement interdit tout ‘vagabondage’, même jugé créatif. Les formations dites « littéraires » ou « scientifiques » ne devraient jamais être pensées, en Afrique encore moins qu’ailleurs, pour se recroqueviller sur elles-mêmes, produisant des spécialistes qui se reproduisent à l’infini ou qui sont contraints à « penser unique »
Nous avons décidé de célébrer un champion des belles lettres mais aussi de l’excellence scientifique et académique qui par la communication que lui-même a choisi de faire « l’homme de science dans la société béninoise » a voulu sans doute mettre l’accent sur les multiples facettes de l’homme de science qui ne doit pas craindre de faire preuve d’originalité, d’opérer de temps en temps un écart à la norme sans craindre de devenir un « sans domicile disciplinaire fixe. ».
On a pendant longtemps imaginé que la littérature posait les questions et que la science donnait les réponses. Je me demande si ce n’est pas le contraire qui serait vrai, si la science n’ouvre pas des champs, n’avance pas des intuitions que la littérature serait mieux placée pour élucider. Quand les physiciens évoquent, sans trembler, des ‘réalités’ inconcevables comme « L’univers est un cercle fini de diamètre infini » ou que les mathématiciens travaillent sur les nombres irrationnels et expliquent que « quoiqu’ils soient tous infinis, il y en a néanmoins qui sont plus grands que d’autres », on se demande s’il ne faudrait pas un peu de littérature pour donner vie et chair à tout ce charabia et permettre à nos contemporains de comprendre un peu mieux le monde dans lequel ils vivent.
Pour finir, on peut se demander si le travail sur la langue, que vous avez fait figurer, à juste titre, dans le thème général du colloque, en tant qu’effort au plus près de comprendre et d’être compris par les autres, n’est pas la plus belle manifestation de l’activité scientifique et que la linguistique, érigée au rang de science de plein droit il y a à peine un siècle après les travaux de Ferdinand de Saussure (1857-1913) découverts et publiés par ses étudiants seulement après son décès, n’est pas la mère de toutes sciences. Le « Big Bang », établi en 1929 par l’astrophysicien américain Edwin Hubble, comme une théorie scientifique inébranlable de l’Univers, n’est-il pas, en fin de compte, la plus brillante manifestation littéraire de la science ?
Je ne finirai pas mon propos qui commence à être un peu long, sans rappeler avec une grande fierté que le rayonnement exceptionnel de l’homme que nous célébrons aujourd’hui a fait dire à un commentateur américain bien avisé que rien qu’en utilisant les multiples facettes de sa riche carrière, l’on pourrait écrire l’histoire des moments les plus marquants de la vie intellectuelle et universitaire (highlights history) des cinquante dernières années dans ce pays « béni »
Au total, le professeur émérite Adrien HUANNOU a eu une carrière universitaire bien remplie et a pratiquement réalisé en une seule vie, que nous lui souhaitons encore plus longue et plus gratifiante, l’œuvre de plusieurs vies. Il peut être fier d’avoir formé plusieurs générations de professionnels, d’enseignants, dont des professeurs titulaires, des écrivains et des traducteurs sur trois continents et qui occupent aujourd’hui de hautes fonctions dans leurs pays respectifs.
Fait à Abomey-Calavi le 26 juillet 2024