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[Tribune] Du “Dahomey” au “Bénin” : Faut-il s’en Tenir à des Symboles ?

Par Sêmèvo Bonaventure AGBON
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La dénomination “Bénin” serait-elle d’origine nigériane et induirait-elle un droit de regard du grand voisin sur la souveraineté nationale ? Un recours auprès de la Cours constitutionnelle semaine écoulée, défend cette thèse et demande que les sept sages tranchent en faveur du retour à la dénomination “Dahomey”. Nous republions cette opinion du professeur Augustin Aïnamon, datant de 1989 dans laquelle il montre « qu’il n’y a pas toujours de logique en toponymie ou dans l’origine des noms » et qu’« Il sera donc vain d’instaurer une polémique entre partisans et adversaires du vocable Dahomey ou du nouveau nom Bénin ».

« J’ai écouté avec un intérêt tout particulier l’émission du dimanche 13 août 1989 de La Voix De La Révolution (Radio Cotonou) à laquelle participait mon collègue et ami, le professeur Félix Iroko, sur l’origine du Royaume du Bénin (ou de Benin City dans l’actuelle république fédérale du Nigeria) et les rapports de ce vocable avec la République Populaire du Bénin (redevenue République du Bénin après la Conférence Nationale de février 1990). Je ne reviendrai pas sur l’aspect historique du problème à propos duquel l’essentiel a été dit.

Je me permettrai toutefois de faire remarquer que l’impression qui se dégage de cet entretien est que l’émission s’est voulue une justification a posteriori de la prise en compte du vocable Bénin par ce pays anciennement connu sous le nom de Dahomey. Sans vouloir relancer un débat autour de cette petite mise au point historique, je me dois tout de même, en tant que citoyen de ce pays, de faire remarquer que nos maux ne viennent pas d’un mot, pas plus du Dahomey que d’un autre et que tout vocable peut avoir la valeur ou le symbole que nous voudrons bien lui conférer. Mais les symboles sans substance véritable sont vains et nous réduiraient à un fétichisme grotesque si nous nous en contentions.

Le Danxomè ne couvrait pas toute l’étendue de l’actuelle république du Bénin, il ne couvrait même pas tout le territoire du département central qui s’appelle aujourd’hui Département du Zou, puisque à l’origine, il ne s’agissait que d’un monument sur la tombe de Dan.

Le nom Dahomey, de Dan Xomè, a été donné à notre pays (colonie du Dahomey et Dépendances, puis du Dahomey tout court) en 1893 par le colonisateur français, hommage ironique à une brillante, quoique brève, résistance à l’envahisseur. Béhanzin, le Roi du Dan Xomè de l’époque, était en effet le dernier verrou qu’il fallait faire sauter pour parachever la conquête de cette région d’Afrique qui se berçait encore d’une illusion d’indépendance. Le Dahomey indépendant, puis le Bénin ‘marxiste’ ont déclaré ce roi héros national. Et nous ne cessons depuis, de nous référer à lui et à d’autres comme inspirateurs d’actions héroïques et patriotiques.

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Bien évidemment, le Royaume du Dan Xomè ne couvrait qu’une partie de la colonie du Dahomey (et Dépendances) qui accéda à une indépendance négociée le 1er août 1960 avant de se proclamer république populaire marxiste-léniniste le 30 novembre 1975. Il est entendu aussi que tous les pays ont le droit de porter le nom qui leur plaît dès lors qu’on reconnaît dans le droit international positif, le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes, y compris le droit de ce mal gérer ou même de se suicider. Mais un mot vaudra toujours ce qu’il vaudra, c’est-à-dire pas grand-chose en fin de compte, si l’on ne nous dit pas ce qu’on en fait.

Un pays comme la France (anciennement la Gaule avant et pendant l’administration romaine) tire son nom des envahisseurs barbares, les Francs Saliens avec à leur tête Clovis (481-511.) Mais c’est en réalité la partie occidentale de l’Empire de Charlemagne, à l’ouest de l’Escaut, de la Meuse et du Rhône, c’est-à-dire la Francie occidentale qui, après le démembrement du Traité de Verdun en 843 deviendra la France. Paris, la capitale française s’appelait Lutèce (Lutecia) sous les Romains et doit son nom actuel à la tribu celtique des Parisii. Le site de la ville était primitivement limité à l’Ile de la Cité, entre deux bras de la Seine. Certains historiens pensent aussi que la ville s’appelait Parisis en hommage à la déesse égyptienne Isis.

Les Gallois (Welsh en anglais) ont reçu des envahisseurs anglais leur nom, qui signifie étrangers, mais n’ont jamais estimé que leur plus grande préoccupation serait de remplacer ce nom par un autre et… d’en rester là.

Le professeur Iroko a fait remarquer très justement que le territoire du Mali actuel ne correspondait pas exactement à l’emplacement de l’ancien empire du même nom et que le Ghana (ancienne Gold Coast = Côte de l’Or) n’avait rien à voir avec la civilisation de l’ancien Empire du Ghana. La République Populaire du Bénin n’innove donc pas en la matière, mais le problème ne réside pas là, et j’y reviendrai.
D’autre part, on entend aussi parfois dire que le Royaume du Dan Xomè eut pour fondement le crime et l’ingratitude, Dan ayant été lâchement assassiné par celui qu’il avait accueilli quelques années auparavant en frère et ami dans son domaine. Le fondateur de Dan Xomè a donc payé en monnaie de singe son bienfaiteur, et cela a pu valoir quelques malheurs à notre pays. Mais on peut en dire autant de Romulus, le fondateur de Rome, qui immola son frère jumeau et compagnon d’infortune, Remus, sur l’autel de la discorde. L’histoire biblique nous donne aussi l’exemple de notre ancêtre commun, Caïn, qui assassina son unique frère Abel avant de fonder sa dynastie. Nous ne savons d’ailleurs comment. Peut-être était-ce en commettant aussi un inceste avec sa mère Eve ?

Peut-on conclure des exemples ci-dessus que la fraternité des hommes a commencé par la haine, et que notre génie politique a son fondement philosophique dans le crime ? Je n’en suis pas si certain. Tout au plus pourra-t-on dire que ces débuts symboliques violents suggèrent ce que certains philosophes et historiens du droit ont appelé métaphoriquement état de nature, le stade où l’homme était encore supposé un loup pour l’homme. Mais cette métaphore n’a pas plus de valeur ou plus de plausibilité que ces mots de saint Jean : « Au début était le verbe, et le verbe s’est fait chair ! » Ce n’est peut-être qu’à partir de ce moment que commencent les affaires véritablement humaines.

Le Danxomè ne couvrait pas toute l’étendue de l’actuelle république du Bénin, il ne couvrait même pas tout le territoire du département central qui s’appelle aujourd’hui Département du Zou, puisque à l’origine, il ne s’agissait que d’un monument sur la tombe de Dan. Mais il en est certainement de même pour un vocable comme Europe (ou Europa) qui désignait à l’origine le nom d’une princesse (nymphe ?) ‘libanaise’ de la région de Tyr, ancien port phénicien, aujourd’hui Sour, au sud de Beyrouth. Cette princesse fut enlevée par Zeus (Jupiter) puis déposée sur l’Île de Crète qui, à l’origine, était seule à porter le nom Europa.

L’Algérie, la Tunisie et le Mexique doivent leurs noms à leurs capitales respectives Alger, Tunis et Mexico sans que ces pays s’en portent plus mal. Le Canada qui est aujourd’hui l’un des pays les plus développés du globe, n’a pas un nom particulièrement flatteur : Aca Nada, probablement donné par Verrazano en 1524, signifie en espagnol ‘là rien du tout’ ou ‘pays vide’.i

Ce recours abondant à l’histoire des autres peuples, surtout des ethnonymes ou des toponymes, montre qu’il n’y a pas toujours de logique en toponymie ou dans l’origine des noms. Bien malin donc qui croit pouvoir trouver dans l’histoire des hommes et des peuples, qui est un faisceau déroutant de changements pluriels, un fil directeur infaillible pour soutenir une action présente ou provoquer des événements qu’il serait peut-être imprudent de qualifier d’inéluctables. En histoire, on peut le dire très humblement, il n’y a que des probabilités conditionnelles.

Il sera donc vain d’instaurer une polémique entre partisans et adversaires du vocable Dahomey ou du nouveau nom Bénin. Mais l’ennui avec les changements de noms, c’est qu’ils ne clarifient pas toujours les situations sur le plan scientifique car l’on ne change pas (et l’on ne doit pas changer) de nom pour le plaisir de le faire. Le Soudan français est devenu Mali, aussi bien pour arborer un manteau prestigieux que pour, je le suppose, permettre à l’autre Soudan (Soudan veut dire pays des Noirs en arabe) de s’appeler désormais simplement Soudan sans qu’on ait besoin d’ajouter l’épithète anglo-égyptien (qu’il porta avant l’accession à l’indépendance).

Le Zaïre de Mobutu a cru devoir abandonner Congo, même flanqué de –Kinshasa, pour laisser le terrain libre à l’autre Congo (entre-temps République Populaire du Congo) qui a pour capitale Brazzaville. Malheureusement la fin sans panache du règne de Mobutu voit le retour du nom Congo (flanqué du qualificatif démocratique).

Tout cela est très émouvant et l’on ne peut en tenir grief aux Africains de vouloir s’affirmer d’une manière ou d’une autre. Mais le cas du Bénin ajoute à la confusion et à la complexification d’une situation qu’il fallait au contraire clarifier. La République Populaire du Bénin (même si elle a jeté aux orties son manteau marxiste-léniniste depuis février 1990) est toujours un pays voisin du Nigeria qui contient la ville de Benin City dont la population parle une langue appelée Bini ou Edo du groupe kwa. Civilisation brillante dans le passé, Benin City fait partie intégrante aujourd’hui de l’État le plus puissant d’Afrique, à la probable exception de l’Afrique du Sud.2

Pour arriver à mettre de la substance dans ce symbole prestigieux, il va nous falloir nous élever au-dessus de la moyenne et faire mieux que ce que nous avons fait pendant quinze ans de cafouillage ‘marxiste-léniniste’. Il va nous falloir remettre le nouveau nom de Bénin sur la carte du monde après en avoir effacé celui non moins prestigieux, quoique moins ancien, de Dahomey.

Or depuis que nous portons notre ‘nouveau’ nom prestigieux « qui a mis tout le monde d’accord ! », les maux dont nous souffrions ont été multipliés par trois au moins. Le sursaut du renouveau démocratique ne nous a pas encore permis de faire le bond qualificatif que nous espérions pouvoir réaliser au lendemain de la Conférence des forces vivantes de février 1990. Nos maux ont noms corruption, gabegie et mauvaise gestion (malgré le galvaudage depuis quelque temps de l’expression bonne gouvernance), goût du luxe et du lucre dans un environnement social qui se dégrade chaque jour un peu plus, perte inquiétante du sens du travail bien fait et de la solidarité nationale que nous confondons dangereusement avec la politique des quotas, idéologie tribalo-régionaliste enfin, érigée en style de vie.

Le fait de rendre certains vocables tabous n’y a décidément rien fait, car un mot que vous renvoyez dans l’inconscient collectif parce que vous n’avez plus le courage de l’évoquer, reviendra au galop tant qu’il y aura ‘du travail’, ‘tant qu’il y aura à boire et à manger’ pour lui dans la réalité, même sous le couvert d’un autre vocable. Et chez nous, les mots n’ont jamais été aussi éloignés de la réalité qu’ils sont supposés exprimer. Ainsi en est-il de nos ‘victoires et progrès ascendants et ininterrompus du temps du PRPB dont nous savons où ils nous ont menés.

Ce pays avait pourtant tout et était suffisamment bien parti (et suffisamment bien reparti depuis le sursaut héroïque de la nation depuis sa conférence nationale de 1990) pour ne pas se retrouver dans la situation que nous commençons à déplorer à nouveau. Chacun de nous, au-delà des slogans faciles, doit, en tout cas, méditer sur cette situation et se dire qu’il y a encore beaucoup plus de tâches à accomplir qu’il n’y en a eu de mal exécutées ces deux dernières décennies. Notre survie en tant que peuple qui a décidé depuis bientôt quarante ans de vivre ensemble et entre nous, quels que soient les autres facteurs objectifs et subjectifs, est à ce prix.

Il n’y a rien dans notre passé dahoméen dont nous puissions avoir honte au point de triturer l’histoire pour éviter d’avoir à prononcer le mot Dahomey, même dans la zone géographique qui correspond au territoire de l’ancien Royaume du Dahomey. Pourquoi devrons-nous faire preuve d’une telle crispation pour parler de ‘féodalité au Bénin’, de l’ancienne ‘Colonie du Bénin’, alors qu’en réalité nous voudrions dire ‘du Dahomey’ ?3

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Pourquoi devrions-nous défigurer et désarticuler les vieilles chansons contenant le ‘vocable interdit’ ? A cette allure nous craignons qu’on ne nous incite à brûler toutes nos archives qui ont survécu au massacre de la période ‘révolutionnaire’. N’oublions pas qu’on commence par brûler des documents, avant d’en arriver aux hommes. Les expériences de l’Allemagne nazie et plus récemment de la Russie soviétique sont, en tout cas, encore présentes pour nous édifier positivement. Par contre, rien dans notre présent épisode bénino-béninois n’est capable de rendre nos enfants particulièrement fiers de nous.

Peut-être avons-nous d’ores et déjà perdu le vingtième siècle. Mais devrions-nous veiller à ce que nos enfants perdent aussi le vingt et unième siècle ? Pour qu’ils n’aient pas à maudire nos noms jusqu’à la septième génération, nous devrions au contraire leur donner l’occasion de remonter le plus rapidement possible la pente car si nous étions dans le gouffre depuis quelque temps déjà, nous n’y étions pas encore à genoux. Je crains que ce ne soit chose faite dans quelques années. Évitons d’aller plus loin dans la déchéance. »

Augustin AINAMON
Professeur à l’Université Nationale du Bénin, aujourd’hui à la retraite
01 B P. 1441, Cotonou.

Notes
1 Cet article est une version revue et corrigée d’un article publié dans le quotidien national Ehuzu (devenu depuis La Nation) et prend en compte les changements intervenus dans notre vie publique depuis le compromis historique de la conférence nationale de février 1990 sur un nouveau départ.

2 Benin est la prononciation portugaise du mot isekiri Ubinu, qui signifie capitale, siège de la royauté et désignait la capitale Benin City. Le nom Ubinu vient lui-même du mot yoruba Oba qui signifie gouverneur, et qui désigne chez les Yoruba un personnage sacré. Selon la tradition, le titre Oba aurait été adopté par la dynastie yoruba fondée par le prince Oranmiyan au XIIème siècle. Cette tradition orale ne permet pas de présumer quelle langue a fait un emprunt à l’autre.
Les souverains Edo (les habitants du Royaume préféraient s’appeler Edo) usaient auparavant du titre de Ogiso, qui signifie en langue edo roi ou roi divin, littéralement roi du ciel. Ils appelaient leur royaume Igodo Migodo, du nom du légendaire fondateur en -355 de la dynastie des Ogiso Igodo, alias Oba Godo. Fils d’un Ogiso exilé à Ifé, capitale des Yoruba, Oranmiyan aurait désigné son nouveau pays, avant d’en abandonner le trône à son fils Eweka et de s’exiler à son tour, comme Ile Ibinu, qui signifie en yoruba Terre de vexation. Les jeux de mots insultants, on le voit, sont universellement utilisés pour désigner l’ennemi. En tout cas le nom de ce petit royaume pas plus que celui de l’Empire du Bénin (1440-1897) n’a jamais rien eu en commun avec notre pays qui a été nommé Bénin par une grossière confusion.

3 Il est vrai que, avant de s’appeler Colonie du Dahomey et Dépendances, le pays s’appelait Territoires français du Golfe du Bénin. La région du Golfe du Bénin est la partie du Golfe de Guinée située à l’ouest du Delta du Niger et comprend les pays du Nigeria, du Bénin, du Togo et du Ghana.

i Une autre origine indique Le nom « Canada » vient probablement du mot huron et iroquois kanata, qui signifie « village » ou « bourgade ». En 1535, quand deux jeunes Autochtones indiquent à l’explorateur Jacques Cartier le chemin de kanata, ils font en fait allusion au village de Stadacona, emplacement actuel de la ville de Québec

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