«Les écoles privées (y compris celles confessionnelles) ne devraient pas être des écoles commerciales». Pourtant, c’est bien ce qu’observe Thierry Dovonou, inspecteur de l’enseignement secondaire et secrétaire général du Syndicat des professeurs permanents et contractuels de l’Etat (SyNaPPeC). Mauvais traitement du personnel, exagération dans la fixation des frais d’écolage, absence de contrôle pédagogique, didactique et financier… Le syndicaliste déplore un manque de « sérieux » et appelle l’État à agir. Entretien !
Propos recueillis par Raymond FALADE
Bénin Intelligent : Bonjour Thierry Dovonou. Pensez-vous que certains promoteurs d’établissements scolaires privés exagèrent dans la fixation des frais d’écolage ?
Thierry Dovonou : Bonjour. Avant de répondre à votre première question, je voudrais quand même donner des informations à vos lecteurs. Il y a quelque chose que vous devez comprendre. Lorsqu’on parle d’école privée, les écoles privées ne devraient pas être des écoles commerciales contrairement à ce que nous voyons ici.
Le contrôle pédagogique et même le contrôle financier de l’État droit être de mise. C’est pour cela que dans beaucoup de pays, l’école privée est appelée ‘’école conventionnée’’ pour la plupart. Donc, ce sont des écoles où l’État a un contrôle sur le plan pédagogique et didactique parce qu’elles ont l’obligation de respecter le programme du pays. Vous avez vu ce que la Turquie a fait aux écoles françaises; elle est en train de les fermer parce que les écoles françaises ne respectent pas le programme turque. Or elles forment des Turques.
Donc, l’école est un élément d’influence de l’État central. Et l’État central doit avoir un droit de regard absolu sur l’école même si elle est privée. Ce qui veut dire que dans certains pays, les écoles conventionnées ont deux modes de fonctionnement. Elles reçoivent une subvention de l’État qui y classe les enfants admis au Cepe.
Pour le contrôle pédagogique, soit on a des conseillers pédagogiques et des inspecteurs conventionnés que l’État forme et ils doivent faire un compte rendu à l’inspection générale pédagogique et à l’inspection académique -puisque dans une salle de classe, nous avons les savoirs et on a la manière de les transmettre -, soit des CP et inspecteurs ordinaires qui contrôlent leur travail. Et bien sûr que l’inspection des finances contrôle aussi leur travail et ils font compte-rendu à la Cour des comptes aussi. Malheureusement au Bénin, on n’a pas cet arsenal de contrôle.
Le béninois veut l’argent de l’État mais il ne veut pas que l’État contrôle ce qu’il fait. C’est cela le grand problème des écoles privées.
Les promoteurs d’établissements privés exagèrent-ils donc dans la fixation des contributions ?
Bien sûr que par rapport au coût de la vie, ils exagèrent. Ils exagèrent énormément. La contribution aujourd’hui dans les écoles privées varient entre 50 000Fcfa pour les moins chers à 3 000 000Fcfa pour les plus chers. Et dans la moyenne, c’est autour de 100 000 Fcfa. Mais cette contribution ne suit pas la prestation pédagogique et didactique qu’on donne. Cette prestation est toujours médiocre parce que la majorité des écoles n’ont pas leur personnel propre. C’est le personnel de l’État qu’elles utilisent pour encadrer leurs élèves.
Je défie les écoles, même confessionnelles qui se disent sérieuses, de nous présenter leur personnel au secondaire. Je parle du secondaire puisque au primaire elles ne peuvent pas prendre de vacataires. Alors elles recrutent pour le primaire. Mais pour le secondaire, elles ne recrutent pas. Elles ont quelques uns qui sont là pour travailler pour eux en permanence. C’est tout. Donc, si nous devons résumer, les écoles en fixant le taux, exagèrent.
L’État doit-il alors imposer un taux, contrôler l’écolage ?
L’État est obligé de contrôler. Même si aujourd’hui on n’a pas des conventions pour les écoles -j’entends tout le temps les écoles privées dire «l’État ne nous soutient pas» – non ! criez pour qu’il y ait des écoles conventionnées. C’est tout. Mais sachez que quand il s’agit des écoles conventionnées, vous êtes beaucoup plus responsabilisés et l’État contrôle vos finances aussi. C’est ce que vous n’aimez pas. Donc, il faut que vous soyez déjà au courant que lorsque l’État met un franc quelque part, on doit voir comment vous l’utilisez.
Même si l’État ne finance pas les écoles privées aujourd’hui, et ça ne viendra pas demain aussi. En tout cas, il nous faut au moins 20 ans pour corriger tout cela parce que la mentalité du Béninois est une mentalité de tricheur. Et l’école aussi triche. Il suffit de voir en fin d’année : les écoles privées mettent des bâches partout comme quoi, elles sont premières dans ceci ou dans cela. Tu présentes un candidat, le candidat est admis, tu dis que tu as fait 100%. C’est de la tricherie tout simplement. Donc, l’État doit intervenir et réglementer.
Mais quel type d’État nous avons ? Les gens qui s’occupent des écoles privées les rançonnent. Ils passent d’école en école pour prendre de l’argent aux écoles privées. Et ces écoles privées se plaignent; elles nous parlent. Que ça soit CP, que ça soit inspecteur, ils rançonnent les écoles privées. Ils ne font pas leur travail comme des agents de l’État. Et tout cela, il faut corriger d’abord. Donc, par rapport à la cherté, voilà ma réponse. L’État doit intervenir parce qu’une école est l’image de la société dans laquelle elle vit.
Si le Smig est à 51 000Fcfa, et la contribution dans une école est de 200 000Fcfa, je crois qu’il faut faire quelque chose. Là c’est le syndicaliste qui parle. Ce n’est plus le technicien ordinaire. C’est le technicien doublé de syndicaliste. Encore que ces écoles n’inscrivent pas le peu de personnel qu’elles ont à la Cnss [Caisse nationale de sécurité sociale, ndlr]. Or, elles ont obligation de le faire. Vous demandez aujourd’hui, aucune école privée ou rares sont les écoles privées qui inscrivent leur personnel.
Les responsables vont vous dire qu’ils ont recruté à la maternelle mais il n’y a pas trace de ces camarades à la Cnss. Les gens font 15 ans chez eux, mais ils n’ont pas de retraite.
Vous soutenez que la cherté des frais d’écolage dans les écoles privées ne rime pas forcément avec la qualité de l’enseignement
Non! Je l’ai déjà dit, elles n’ont pas de personnel, elles ne font que jongler avec le personnel de l’État. Même si c’est interdit que le personnel de l’État ne doit pas travailler avec le privé, les gens continuent de tricher au Bénin. Le meilleur personnel se trouve avec l’État. Le gens comme nous. Moi par exemple, depuis pratiquement 2004, 2005, j’ai compris que le privé exploite les gens et j’ai cessé de dispenser des enseignements dans les écoles privées. Parce que je ne peux pas travailler avec un privé que j’amène à avoir des résultats et à la fin des examens, il dit que l’institution qui me paie moi mon salaire ne fait rien ; que c’est lui qui a donné le meilleur rendement.
Quand vous regardez même, les meilleurs rendements sont donnés par les écoles publiques. Et malheureusement ou heureusement, eux ils n’ont pas l’argent pour aller voir celui qui fait ‘’Jour des premiers’’ pour payer 200 000Fcfa ou 400 000Fcfa pour prendre bâches et mettre dans les écoles. Non.
Nous on ne fait pas ça. Si vous prenez les résultats de l’Ouémé, vous allez voir en tête, le Ceg Les Cocotiers. C’est là où moi je travaille. Vous allez voir Les Cocotiers avec des mentions Bien, Très bien au Bac. Ceg Ouando, c’est pareil. C’est pour cela que moi mes enfants ne font jamais le privé. Jusqu’à l’université ils n’ont pas fait le privé. Parce que dans le privé, la qualité de la formation pose un véritable problème. Moi je vous parle en tant que didacticien.
Merci beaucoup.