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Franck Waille : Une nuit en prison, et un Bénin adopté pour toujours

Par Sêmèvo Bonaventure AGBON
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Il compare la vie aux mangues qu’on ramasse sous un manguier : il y en a toute l’année, il suffit de passer d’un arbre à l’autre. Franck Waille vit le bonheur, pas dans le matériel, mais dans la recherche d’un rapport authentique avec les autres. Universitaire et professeur d’origine française, spécialiste de François Delsarte, il aime les aventures. Cette passion pour l’exploration de l’inconnu l’a conduit fortuitement au Bénin où il a séjourné après un détour par le Nigéria. De son voyage en vélo à travers plusieurs villes du pays, il retient de grandes leçons humanistes qu’il voudrait que ses compatriotes d’Europe gardent sur l’Afrique et les Africains.

Propos recueillis par Emmanuel M. LOCONON

Journaliste : Qu’est-ce qui, dans votre parcours de la France au Bénin en passant par le Nigéria, vous a inspiré à traverser le Bénin en vélo ?

Dr Franck Waille : Arriver au Bénin a été le fruit du « pur hasard ». Mais parfois, on dit que le hasard, c’est la façon que Dieu a de voyager incognito. C’est ainsi que je suis venu en Afrique noire, que je ne connaissais pas et où je ne voulais pas venir parce qu’on m’avait dit qu’ici, il fallait plein de vaccins et moi, je ne veux pas être vacciné plus qu’il ne faut. Sauf que j’ai découvert qu’en fait, il fallait juste le vaccin contre la fièvre jaune et que je l’avais déjà fait en Guyane où j’ai travaillé.

Je suis arrivé en Afrique noire le soir de mes 56 ans, le 21 mars 2025 : j’avais trouvé un poste au lycée français de Lagos (Nigéria). Très vite, le 26 mars, j’ai démissionné, parce que les conditions de travail étaient indignes et extrêmement mal gérées par la direction. J’ai demandé quelques changements ou aménagements sans quoi je ne prendrais pas le risque de devenir dépressif comme les précédents enseignants. La réponse fut négative. Je suis donc parti. On m’avait alors proposé de me prendre un billet d’avion pour me renvoyer en France. Une option que j’ai déclinée étant donné qu’entre temps, ayant entendu parler du Bénin, j’ai décidé de m’y rendre pour découvrir Cotonou.

Je me suis donné comme défi de trouver une activité en 15 jours au Bénin, sinon, je remonterais jusqu’en Espagne, en faisant toute l’Afrique de l’Ouest. J’ai seulement une petite valise et un sac à dos, donc c’est gérable. Au bout de 15 jours, j’ai rencontré Vincent Fritschi, le responsable à l’époque du centre chorégraphique ‘’Multicorps’’ (il est rentré en France maintenant) et lui ai fait part de mes compétences en danse.

Je suis spécialiste de François Delsarte, ayant à la fois une casquette universitaire d’historien (théorique) et de danseur (pratique). On m’a proposé trois semaines de cours avec le groupe « Trait d’Union » en échange d’être logé, mais sans contrepartie financière. Dans mon enseignement, il y a aussi le Contact-Improvisation et le Global Underscore du solstice d’été.

Entre temps, j’avais acheté un vélo, parce que j’ai un vélo partout où je vais. En Guyane, au Brésil, au Mexique, etc. Chaque fois, on me disait, non, que ce n’était pas possible de faire du vélo dans ces pays. Mon premier grand voyage en bicyclette, c’était entre Barcelone à Sète, après la Covid-19.

Pour moi, c’était la liberté retrouvée. Et après, au Mexique, j’ai fait deux mois entre vélo et bus sur des centaines de kilomètres, dans des endroits réputés coupe-gorge. C’est cette expérience que j’ai voulu réitérer ici au Bénin, en allant à la découverte du pays sur deux roues et à la force de mes jambes ! Malgré un petit problème d’infection de pied que j’ai traitée, comme un grand, avec du chlorure de magnésium et du bleu de méthylène, j’ai relié plusieurs villes béninoises, avec comme destination Parakou, au centre du pays. Ma motivation, ça a été donc que j’avais trois semaines de libre, je ne voulais pas dépenser trop d’argent, j’avais ma petite tente, mon vélo, et, « allons à l’aventure ! ». J’aime ça !

Avant de découvrir l’Afrique noire, quel était votre regard sur le continent et comment voyez-vous à présent les Africains et Béninois ?

Alors, pas très bon, en vérité. D’une part, il y a l’histoire des vaccins. D’autre part, j’avais un élève dont le père a travaillé en Afrique, qui était empoisonné ici. Aussi, quand il revenait d’Afrique, il me disait « Ouais, c’est chiant, dès que tu arrives, tout le monde te demande de l’argent. »

Je venais en fait en Afrique noire un peu contraint. Le Mexique, où j’ai vécu deux ans, est un pays que j’aime beaucoup, mais qui est trop loin de ma famille, de mes amis car le voyage est difficile pour moi (je supporte très mal le décalage horaire). J’ai essayé l’Afrique du Nord, sans succès (j’ai démissionné de deux écoles en Tunisie), il restait l’Afrique noire. Et c’est vraiment la très bonne surprise de ma vie ! Au niveau du climat, très clairement, c’est le meilleur climat que je n’ai jamais expérimenté. La Guyane, c’est très chaud, très humide, très tout ce que vous voulez. Le Mexique, c’est correct et bien, je me suis bien adapté, mais je préfère ici. Je suis plus à l’aise avec le climat, mille fois mieux qu’au Québec ! Et au niveau humain, ce fut une découverte très surprenante. Sacré belle ambiance quand même !

Durant ce voyage, j’étais en contact direct des gens tous les jours. J’ai été touché, je suis un peu tombé amoureux de la population béninoise. J’ai découvert le mot « yovo ». En effet, on ne dit plus « le blanc » dans les campagnes, on dit « yovo ». Je ne savais pas ce que ça voulait dire. Mais ça, c’est charmant. Pour ceux qui me demandaient de l’argent, je ne leur donnais pas, parce que je ne suis pas une banque. Je ne veux pas établir des relations du style « le blanc a du fric et le noir n’en a pas ».

Déjà, c’est faux. Il y a des « Mewi » (Noirs en langue fon) ici, qui ont beaucoup plus d’argent que moi. Il suffit de regarder leurs bagnoles. Puis, en plus, ça ne m’intéresse pas d’établir des relations stéréotypées avec les gens. Partout où je suis, quand je voyage, je cherche des relations authentiques. Au Mexique par exemple, j’ai des vrais amis qui viennent de milieux très populaires et on a vécu un an ou deux ensemble. Ils n’attendent pas de moi de fric. On a des vraies relations.

Un jour, j’étais sous un arbre à Allada (une commune du Bénin) où j’étais arrivé en vélo. Faisant mon temps de prière sous l’arbre, une maman est venue me présenter sa fillette pour que je lui touche la tête, comme si je la bénissais : « Tu as mis ma fille en joie ! » m’a-t-elle dit. L’autre image marquante ce jour, c’est cet immense sourire d’un petit gamin avec ses belles dents blanches. Il ne demandait rien d’autre que je lui fasse un petit signe de la main avec un sourire. Vraiment, c’était magnifique. J’étais souvent très bien accueilli. J’ai même dormi chez quelqu’un que j’avais rencontré quelques semaines avant, dans un taxi collectif. On avait gardé le contact, et il m’a accueilli chez lui. C’est quand même surprenant.

Et beaucoup d’autres aussi m’ont accueilli. Des personnes rencontrées le jour-même, ou des prêtres. Je mettais ma petite tente dans leur jardin ou sur leur terrasse. On mangeait ensemble. Ils m’invitaient en famille, puis après c’est moi qui payais quand on allait boire une bière, des trucs comme ça, c’était très équilibré, très juste je trouve. Parfois, quand on ne pouvait pas m’accueillir, on m’offrait une douche.

L’avant-dernier jour de la première partie de mon périple, la veille de mon arrestation, j’étais fatigué et m’étais arrêté, et un jeune homme est venu m’apporter de l’eau. Il a vu que j’étais épuisé. Je trouvais ça vraiment sympa. J’étais allé manger dans son petit restaurant à l’air libre, et là des camionneurs m’ont partagé un peu de leur viande. Le lendemain, mon vélo avait crevé, et un autre jeune m’a aidé à le réparer.

« Ah, les Béninois qu’ils sont doux ! Qu’ils sont mignons ! Qu’ils sont gentils ! » J’ai quand même vu, à l’occasion de mon arrestation, qu’on pouvait aussi être violent, agressif, insultant, un peu borné… comme partout dans le monde. Mais n’empêche que ça n’enlève pas tous ces contacts magnifiques que j’ai eus, ces relations authentiques. Cela me donne en fait simplement un regard plus équilibré sur le pays.

À un moment donné de votre voyage en vélo, vous avez été arrêté, mis en garde à vue et présenté au procureur de la République avant d’être libéré. Racontez les circonstances et raisons de cette arrestation ainsi que son dénouement.

J’étais à 75 km de Parakou. À Toui (Ouessè), j’ai fait escale pour manger, puis après, comme à mon habitude, je suis allé un peu dans la brousse, dans mon hamac, pour faire la sieste. En finissant la sieste, j’ai pris la piste pour rejoindre la route. À un moment, sur la piste, il y avait des branchages qui empêchaient de passer. J’ai vu qu’il y avait un tout petit passage à gauche, donc je l’ai pris en vélo. Je suis tombé sur un campement de la police républicaine. Je n’avais pas identifié tout de suite ces agents, quatre, que j’ai réveillés de la sieste. Je me suis arrêté pour les saluer.

Il y en a un qui est devenu tout de suite extrêmement violent, qui s’est mis à hurler. « Arrêtez-le ! » J’étais d’autant plus décontenancé que trois jours avant, en quittant Bohicon, j’avais été surpris par un très violent orage. Je m’étais réfugié dans une petite cabane le long de la route. J’avais mis mon hamac, j’étais resté trois heures pour sécher un peu. Puis je comptais y passer la nuit. Mais vers 18 heures, sont arrivés deux policiers qui, très gentiment, m’ont salué et se sont installés. Moi, je ne pouvais pas rester. J’ai compris que c’était un poste de police de surveillance de la route. Je suis parti. Il pleuvait encore un peu, mais je suis allé mettre ma tente un peu plus loin et ça s’est bien passé. Ces agents de police avaient été extrêmement sympas et cordiaux avec moi.

À Toui, quand je me suis arrêté pour saluer les agents que je venais de rencontrer, pour moi, c’était les mêmes que je retrouvais-là. Je voulais aussi discuter un peu avec eux. Mais ils ont élevé le ton et je leur ai rendu la pareille. J’ai pris mes papiers, je les leur ai tendus, ça ne les a pas intéressés : seul le contenu de mon sac avait de l’intérêt pour eux… Ils m’ont physiquement empêché de partir. Je n’avais pas le choix. La patrouille est arrivée, a pris mon vélo, m’a embarqué et ramené au poste de Toui.

Très gentiment, ils m’ont laissé recharger mon portable, et puis m’ont fait savoir qu’il fallait faire une déposition. La tournure des choses devenait bien compliquée… Le chef n’était pas là, je l’ai eu au téléphone, il me parlait d’un ton très agressif. Il m’interdisait de poser des questions. Auprès d’un policier au contraire très gentil, j’ai fait ma longue déposition.

Le soir, quand le chef arriva, on m’a été demandé de signer la déposition saisie par le policier, après relecture.
J’ai eu le temps de prévenir l’ambassade de France à Cotonou. J’ai appris plus tard qu’il y avait eu des incidents sur la route que j’avais empruntée. Et que c’était potentiellement dangereux pour un cycliste. Surtout un blanc. Cela pouvait justifier la tension au niveau des agents.

De Toui, on est partis en voiture pour Dassa… puis pour une destination inconnue. J’étais au milieu de policiers armés. Contre toute attente, vers 1h du matin, nous étions à Cotonou. Présenté à la Brigade criminelle vers 2h, j’ai été jeté derrière les barreaux. Les conditions étaient incroyables : 29 gars entreposés dans un local de béton d’environ 25 m2, avec au fond une poubelle pour urines et une autre pour les selles… Cette nuit-là, je n’ai pas dormi, mais j’ai prié, recroquevillé en boule près des jambes d’un autre détenu qui m’a fait un peu de place. Je n’avais jamais vécu cette manière de traiter les gens comme du bétail. Même si avec moi, le matin lors de la toilette, les gardiens ont été relativement respectueux.

À 8h, on vient me chercher. Je vais voir le plus haut gradé de la brigade criminelle. À côté de moi, il y avait son adjoint, très sympa, très souriant, qui m’a donné la possibilité de raconter mon histoire, celle qui m’a conduit là. C’est la première fois qu’on veut vraiment m’écouter depuis la veille.

J’ai fait un bilan complet d’où j’avais dormi chaque nuit, et quand des personnes m’avaient accueilli, j’ai pu donner leurs coordonnées. Je leur ai présenté mon contrat de travail avec le centre ‘’Multicorps’’. Ils ont vu que je disais vrai. On a discuté, c’était sympa. Je vais chez le procureur. Il me pose deux, trois questions. Ça se passe bien. Et puis, une heure après, je suis libéré. Et les mêmes gens, les deux mêmes mecs qui, avant, étaient infâmes avec moi, sont devenus très gentils. J’ai signé des papiers, récupéré mon vélo et mon sac, puis je suis reparti : libre mais sal…

Ça aurait été compliqué si on m’avait maintenu en détention sans motif. Mais là, j’ai vu qu’en fait je suis tombé sur des gens normaux, intelligents, bien formés, et que la justice fonctionne correctement au Bénin. C’était en fait une bonne expérience, dans le fond. J’ai aussi beaucoup pensé à mes codétenus, qui ont passé plusieurs jours dans cette cage… et aux gens de Gaza qui vivent quelque chose d’infiniment pire, sans comparaison possible…

Après ma libération, j’ai poursuivi mon voyage en vélo en faisant de belles découvertes et rencontres, en particulier à Porto-Novo et à Ouidah.

Après cette expérience, vous n’avez pas sombré, mais vous avez instauré la pratique de l’Underscore au Bénin.

Oui. Quand j’étais au Canada, j’ai proposé l’Underscore ; au Mexique et au Brésil aussi. Mais ça n’a pas pris. L’Underscore est une structure de danse improvisée en groupe développée par la danseuse américaine Nancy Stark Smith. Le fait que ce ne soit pas réalisé dans les pays où je l’ai proposé, mais que ce le soit au Bénin, symbolise le fait qu’il y a vraiment quelque chose d’important pour moi ici.

Cette année, j’ai démissionné de trois écoles, deux écoles en Tunisie, une école à Lagos (Nigéria), pour arriver ici. Je sais maintenant que c’est ce que j’avais à vivre. C’est évident. La qualité de ce qui s’est vécu à l’Underscore m’a beaucoup touché. On a tous vécu des choses fortes. C’était une divine surprise. D’une grande profondeur, d’une grande beauté. J’ai eu beaucoup de retours très positifs.

Que souhaiteriez-vous que les Européens et les Français retiennent de votre voyage en Afrique ?

La seule chose que je voudrais qu’ils retiennent, c’est que s’ils viennent ici, qu’ils le fassent en confiance et en fraternité. Pas en riches postcoloniaux. Venez en toute fraternité ! Et essayez d’aller vraiment à la rencontre des gens. Ne vous cachez pas dans vos trucs à touristes. Le Bénin vaut la peine que vous alliez le rencontrer. Les gens valent la peine que vous alliez les rencontrer. Et arrêtez de donner de l’argent à tout le monde sans raison. Si vous voulez donner de l’argent sur un projet, ok. Surtout, arrêtez de faire croire que l’Européen, c’est une banque ambulante.

En effet, vous faites du mal aux petits enfants qui sont là. L’argent, ça pervertit tout. Pour moi, l’absence de sens, c’est de mettre l’argent au centre de la vie. Un enfant, c’est fragile. Un enfant ne doit pas être perverti par l’argent. Je ne sais pas pourquoi j’ai des frissons en disant cela. C’est blesser [Franck laisse couler des larmes en disant cela, Ndlr], c’est blesser en profondeur l’humanité de l’enfant que de réduire la relation à l’argent. Si on enferme la relation de ces enfants dans un rapport d’argent, on blesse quelque chose dans leur humanité. Cela est grave, et c’est pour ça que je suis très heureux de tous ces gamins souriants même quand je refuse de leur donner de l’argent : leurs sourires, leur politesse, leur joie d’être simplement en relation, cela vaut tout l’or du monde.

Le vrai cadeau qu’on s’est fait mutuellement, c’est la confiance. Donc, venez faire du vélo au Bénin ! Prenez votre tente et goûtez à l’accueil de ces gens souvent bien moins riches que nous, mais qui sont capables de vous accueillir, le cœur sur la main, sans attendre d’autre chose que d’être heureux de passer un moment avec vous.

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