Home Actualité Centre de promotion sociale des aveugles (Cpsa) de Sègbèya : «Le matériel didactique n’est pas sur place et est onéreux» (Irène Ranti Doumatey)

Centre de promotion sociale des aveugles (Cpsa) de Sègbèya : «Le matériel didactique n’est pas sur place et est onéreux» (Irène Ranti Doumatey)

Par Sêmèvo Bonaventure AGBON
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Créé en 1983, le Centre de promotion sociale des aveugles (Cpsa) de Sègbèya est un centre d’éducation et de réadaptation des non-voyants, tardits ou pas. Aujourd’hui encore, il accueille de nouveaux pensionnaires petit comme grand. A l’ère où la communauté internationale prône une éducation inclusive, le Cpsa de Cotonou n’entend pas rester de côté. Depuis quatre ans, les enfants voyants sont acceptés à la maternelle et cohabitent avec les non-voyants. Une initiative à saluer malgré les difficultés que rencontrent les acteurs et surtout les responsables du centre. Irène Ranti Doumatey, enseignante spécialisée, chef service enseignement maternel, primaire et réadaptation au Centre de promotion sociale des aveugles de Sègbeya (Cpsa) Cotonou, nous fait découvrir davantage l’établissement à travers cet entretien. Elle aborde surtout le casse-tête de la non disponibilité du matériel didactique.

Propos recueillis par Raymond FALADE

Bénin Intelligent : Que fait le Centre de promotion sociale des aveugles (Cpsa) de Sègbeya ?

Irène Ranti Doumatey : Le Centre de promotion sociale des aveugles de Sègbeya (Cpsa) est un centre qui accueille les non-voyants de tous âges, grand comme petit pour leur prise en charge, la réadaptation et l’éducation. Comme pour dire que les non-voyants aussi ont droit à l’éducation.
Parlant de la réadaptation, vous savez la cécité n’a pas d’âge. Vous pouvez perdre la vue à tout moment. Souvent, on dit que perdre la vue c’est perdre la vie. Or, en réalité on perd la vue mais on vit toujours. Donc, comment vivre avec la perte de vue. Il faut tout apprendre. Il faut réadapter la personne, lui redonner vie, lui réapprendre les bonnes manières pour qu’elle puisse continuer à vivre. C’est cela la réadaptation et c’est souvent chez les non-voyants tardifs.

Comment intégrer le centre ?

D’abord, l’école accueille les enfants, les tout petits à la maternelle déjà à partir de trois ans. La particularité ici au Cpsa de Sègbeya depuis quatre ans, c’est que on n’accueille pas seulement les handicapés de la vue à la maternelle. La maternelle est inclusive. Nous avons les enfants des environs plus nos enfants. Il y a donc les enfants voyants et non-voyants ensemble. Pour le moment, à partir de la classe de CI jusqu’au CM2, nous n’avons rien que les non-voyants. Nous n’avons pas encore un CI inclusif parce que les dispositions ne sont pas prises. Nous nous avons de petites classes. Or pour inclure, il faut une grande classe, il faut du matériel, le mobilier, les enseignants, etc. Quand on finit à la maternelle, on est obligé d’envoyer ces enfants voyants vers les écoles ordinaires d’à côté et nos enfants continuent normalement. Donc, ici nous avons du CI au CM2. Après l’obtention du Cep, ils sont intégrés en intégration au Ceg Sègbèya pour continuer la sixième jusqu’en Terminale pour ceux qui le veulent bien. Après l’obtention du Bac, ils sont à l’université comme tout le monde.

Comment arrivent-ils à s’adapter une fois au collège puisque ces enfants doivent cohabiter et rester désormais dans la même classe que les élèves voyants ?

Ils arrivent à s’adapter et ils sont obligés de s’adapter. En fait, il n’y a pas d’inclusion au secondaire, il y a l’intégration. Les choses sont là, vous vous adaptez à la chose. Alors que si c’était une inclusion, c’est qu’on a déjà tout prévu pour eux à l’avance et on sait qu’ils sont là. Voilà la différence entre l’inclusion et l’intégration. Ils sont en intégration. Maintenant, il y a un service de suivi qui sert de couloir entre eux et les professeurs. Ces maîtres de suivi servent de couloir entre eux. Mais cela ne gêne pas. Ils s’adaptent très vite. On n’envoie pas n’importe qui là-bas aussi. C’est celui qui peut tenir. On a commencé cette expérience depuis les années 90 jusqu’à nos jours. Celui qui ne peut pas tenir par exemple est orienté vers une formation professionnelle. Ici, nous avons un atelier professionnel où on fait le tressage des nattes, des fauteuils et autres et ceux qui ne peuvent pas rester ici selon la tranche d’âge, nous leur délivrons un dossier normal pour aller se faire former ailleurs. Actuellement, ils sont une quarantaine au Ceg Sègbèya de la 6ème jusqu’en classe de Terminale.

La maternelle est inclusive ici au Cpsa Sègbèya. La tâche est-elle facile pour vous ?

La maternelle est inclusive et ça se passe bien. Au début, les parents étaient réticents. Mais aujourd’hui, on est submergé. On n’arrive même pas à prendre tous les enfants du dehors. Tout le monde veut venir ici. Ils veulent même continuer avec les malvoyants.

Pourquoi avez-vous décidé d’accueillir les voyants à la maternelle ?

Nous avons commencé par accueillir les enfants voyants à la maternelle parce que le thème de l’inclusion est international. En effet, souvent nos enfants ne sont pas nombreux. Mais on s’est dit que si les enfants depuis le berceau savent qu’il y a d’autres enfants qui ont besoin d’eux, alors depuis le berceau ils peuvent se mettre ensemble et on va voir ce que cela va donner. On a débuté l’expérience et on a vu que cela a pris. Au début les parents étaient réticents : « Eh mon enfant, peut-être il sera contaminé ! » Mais aujourd’hui, il se bousculent. On n’arrive même pas à les accepter tous dans le centre. Qu’est-ce que ça fait ? C’est que l’enfant voyant sait qu’il y a une catégorie d’enfants qui a besoin de lui. Ils font tous les mouvements ensemble, toutes les activités ensemble et ils sont habitués et on leur inculque cela. Ainsi quand l’enfant voyant va évoluer, ça ne va pas l’étonner, il n’aura pas peur des autres. On a vu des amis qui aujourd’hui sont dans le domaine là parce qu’ils ont fréquenté avec les non-voyants. Ils sont amis, ils ont appris l’écriture et ils se sont spécialisés dans le domaine après.

Quelles sont vos difficultés ?

Il y a des difficultés à tous les niveaux. Au niveau des apprenants, des enseignants ainsi que de l’école elle-même. Nos apprenants par exemple ne seront pas toujours ici. Ils doivent aller poursuivre leurs études au collègue par exemple. Il faut qu’ils apprennent à s’adapter avec les autres. Maintenant, au niveau de l’école, nous avons le problème de matériel didactique parce que le matériel didactique n’est pas sur place et est onéreux. C’est le centre qui donne aux enfants tout le matériel nécessaire. Quand ça se gâte ou ça se perd par exemple, c’est difficile de les remplacer parce qu’on ne les retrouve pas sur le marché facilement comme les autres documents des voyants. Il y a aussi le problème de documents d’accompagnement. Vous savez, un élève doit avoir ses documents disponibles à portée de main. Ce n’est pas souvent le cas chez les apprenants malvoyants. C’est vrai que le centre a fait l’effort de doter les classes de documents d’accompagnement, le livre, les manuels de mathématique et de français. Le centre même a fait beaucoup d’efforts parce que, pour avoir ces manuels, ce n’est pas facile. Il faut d’abord avoir le manuel en noir adapté, puis transcrire en braille. Et le manuel de 200 ou 150 pages pour l’avoir en braille, c’est des volumes et des volumes. On peut avoir 5, 6 ou même 7 volumes pour un seul manuel de français selon la classe. Cela veut dire que pour qu’un élève ait un livre, il lui faut un truc de 7 volumes. Ainsi, pour qu’on puisse garder longtemps ces documents, on est obligé de ne pas le leur laisser. Ils ne travaillent avec ça qu’à l’école. Ils rentrent à la maison les bras ballants. Or, l’enfant dit voyant, lui il a son document dans son sac. C’est déjà une difficulté. Cela fait que le non-voyant est limité de sorte que quand il veut lire, s’il n’est pas en classe, il ne peut pas. C’est une difficulté. Cela réduit sa chance d’apprendre. Voilà, le manuel est problème. Les autres documents, ça n’existe pas. Du primaire jusqu’à l’université cette histoire d’inexistence de document et de matériel didactique se pose. Il y a aussi comment suivre en classe pour ceux qui sont déjà au collège par exemple. Quelques fois c’est difficile quand vous n’avez pas des camarades pour vous accompagner. Quand vos camarades ne comprennent pas trop vos problèmes, ils ne vous accompagnent pas parce que quand le professeur écrit au tableau par exemple, le non-voyant ne lit pas. Quand il se met à écrire, il faut qu’il parle pour que l’autre sente ce qu’il est en train de mettre. Au moins, qu’il soit connecté bien qu’il ne puisse lire. Mais là, il y a des maîtres qui ne parlent pas. Ils oublient qu’il y a des non-voyants dans la classe. Donc, c’est le camarade d’à côté qui peut aider ceux-ci. « Ah, qu’est-ce qu’il a écrit ? », va-t-il demander. Le voyant va le lui lire s’il est de bonne foi. S’il ne l’est pas, il va prétexter qu’il n’a pas le temps où bien que lui-même a des problèmes. Donc, il faut que le non-voyant négocie avec ses amis pour que après tout, il puisse l’aider à recopier ses leçons. Maintenant si ça dépasse cela, il peut amener ses problèmes à la salle ressource où sont réunis les professeurs spécialisés pour poser ses problèmes et ils vont essayer de l’aider à les résoudre.
Les autres difficultés, c’est les questions de moyens. Vous savez, les enfants malvoyants sont souvent démunis, c’est-à-dire issue de parents démunis. Donc, il faut de l’aide, des parrainages pour les accompagner. Pour certains parents, c’est des non-voyants. Ils se disent qu’est-ce que cela va leur apporter ? Donc je n’ai pas à dépenser sur lui bien que peut-être il a les moyens. Il y en qui n’en ont pas vraiment. C’est aussi des difficultés parce que quand toi tu as ton enfant et que tu ne peux pas t’en occuper, qu’est-ce que l’enfant ira faire à l’école ? C’est des soucis. C’est vrai que certains parents essayent, certaines bonnes volontés essayent de les accompagner et réussissent quand-même.

Comment corriger cela selon vous ?

Face à ces difficultés, je pense qu’il faut sensibiliser les gens. Que ce soit les parents, les amis et toute la société pour dire que tout le monde est la bienvenue. La cécité, ce n’est pas l’affaire des autres, c’est l’affaire de tout le monde. Il n’y a pas une société à part pour les non-voyants. Non ! Ils sont appelés à vivre dans la société. Ils ont besoin d’être accompagnés, d’être aidés. Eux aussi peuvent aider. Ils ne sont pas que des colis qu’on doit transporter, non ! Je suis non voyante par exemple, tout ce que le professeur écrit, je ne comprends pas mais dès qu’on me l’explique je comprends et je comprends mieux que mon camarade qui voit bien. Je peux lui expliquer ça non ? Donc, c’est de l’entraide en fait.

L’éducation inclusive pour vous c’est quoi ?

Tous les enfants ont droit à l’éducation. L’inclusion risque de s’imposer à nous. C’est un contexte international. Et quand vous allez dans les pays développés, c’est depuis la maternelle. C’est vrai qu’il y a des écoles spécialisées mais là, sont formés les spécialistes pour aller un peu partout afin d’accompagner toutes les écoles. C’est juste les cas difficiles qui restent dans les écoles spécialisées parce qu’ils ne sont pas aptes peut-être pour intégrer le grand nombre. Il y en a comme ça. Sinon, que les autres enfants, j’ai mon enfant handicapé que ce soit sourd c’est-à-dire malentendant, que ce soit malvoyant, je l’amène à l’école comme tout le monde dans mon quartier et les enseignants sont formés, le mobilier est là, les infrastructures sont accessibles. Il a sa place là, l’enseignant sait et on le prend et il commence par évoluer comme ça. Les techniciens et tous ceux dont il a besoin vont venir des écoles spécialisées pour l’accompagner dans le grand nombre. C’est comme cela ailleurs. Cela veut dire que l’état même a déjà pris normalement toutes ses dispositions ; les lois sont appliquées, les enseignants sont formés, le matériel, le mobilier existe, les classes, l’accessibilité pour faciliter le déplacement existent et l’enfant va à l’école. Donc si on doit parler de l’inclusion, c’est que dans ce quartier par exemple, il y a l’école Sègbèya ou bien il y a la maternelle. Mon enfant handicapé va à l’école là. On ne doit pas le renvoyer. Il va évoluer de la maternelle jusqu’à l’université avec ses amis. Et quand il va vouloir travailler, on ne va pas hésiter à le prendre parce qu’on le connait déjà.

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