La Russie a pris samedi 1er avril, la tête du Conseil de sécurité de l’Organisation des Nations-Unies (Onu) pour un mois comme le veut la règle. La dernière fois que Moscou a présidé l’instance suprême de l’Onu remonte à février 2022, pendant laquelle les troupes russes ont envahi l’Ukraine. Aussitôt plébiscité, le pays de Vladimir a annoncé qu’il entend « exercer tous ses droits ». Cela signifie, analyse le spécialiste des questions des relations internationales Codjo Orisha, que Moscou utilisera « pleinement les instruments à sa disposition non seulement en tant que pays assurant la présidence tournante du Conseil de sécurité, mais aussi en tant que membre permanent disposant du droit de véto au sein de l’instance ». Ainsi, le pays de Vladimir Poutine « ne va tolérer aucune campagne visant à déstabiliser son agenda ». Entretien !
Propos recueillis par Raymond FALADE
Bénin Intelligent : La Russie à la tête du Conseil de sécurité de l’Onu, quel pourrait être l’impact de cette ascension du pays de Vladimir Poutine dans le contexte de guerre avec l’Ukraine ?
Codjo Orisha, politologue : Il ne s’agit pas d’une ascension de la Russie. C’est une règle au sein du Conseil de sécurité de l’Onu de déléguer mensuellement la présidence à un des 15 membres de l’organe (5 permanents et 10 non permanents). Le rôle du Conseil de sécurité est de garantir la paix et la sécurité internationale dans le monde. C’est donc l’organe le plus habilité à gérer les crises et les diverses tensions au niveau mondiale.
Et contrairement aux autres organes de l’Onu qui ont seulement le privilège d’émettre des recommandations, le Conseil de sécurité peut prendre des décisions à l’encontre d’un pays membres de l’organisation. Cela dit, le pays qui assure la présidence tournante de l’organe n’a pas de prérogatives particulières, excepté le fait qu’il assure la police des débats. Dans ce contexte, il peut organiser des réunions portant sur des thématiques qui lui sont chères.
D’ailleurs, il faut le remarquer, la Russie n’a pas manqué le coche. Elle a très vite annoncé les couleurs dès le 1er avril, date de la prise de fonction de son représentant permanent Vassili Nebenzia. Entre autres on sait qu’au cours de cette présidence qu’il se tiendra une réunion informelle sur les enfants évacués de la ‘’zone de l’opération spéciale’’.
Moscou entend bien promouvoir un multilatéralisme et un monde multipolaire plus respectueux des principes des Nations-Unies par le biais d’un débat public.
Il faut donc le remarquer, l’agenda du Kremlin pour ce mois met en évidence l’avantage qu’il peut tirer de sa présidence à la tête du Conseil de sécurité pour avancer ses pions.
Il ne faut pas oublier que l’une des principales accusations de la Cpi [Cour pénale internationale, ndlr] à l’encontre du président Vladimir Poutine et Maria Alexeïevna Lvova-Belova, sa commissaire présidentielle aux droits de l’enfant, est le « crime de guerre de déportation illégale d’enfants ». Mais au menu de l’agenda russe, il y a également la situation géopolitique au Moyen-Orient. Les discussions prévues pour le 25 avril porteront sans doute sur la crise syrienne et les négociations sur le nucléaire iranien.
Enfin, Moscou entend bien promouvoir un multilatéralisme et un monde multipolaire plus respectueux des principes des Nations-Unies par le biais d’un débat public.
Il faut donc le remarquer, l’agenda du Kremlin pour ce mois met en évidence l’avantage qu’il peut tirer de sa présidence à la tête du Conseil de sécurité pour avancer ses pions.
La dernière fois que Moscou a présidé l’instance suprême de l’Onu remonte à février 2022, pendant laquelle les troupes russes ont envahi l’Ukraine. Une coïncidence selon vous ?
Si on tient compte de tout ce que je viens de dire ci-dessus, ce n’est peut-être pas anodin, car en assurant la présidence tournante de l’organe, le Kremlin a piloté la plupart des débats dans le sens de la crise ukrainienne. Et comme la « guerre n’est que la continuation de la politique par d’autres moyens », la Russie est passée aux armes pour obtenir gain de cause après l’échec des négociations politiques.
On ne va pas débattre du bien-fondé de la méthodologie, mais elle n’est que le reflet de l’expression de la puissance. Raymond Aron définit celle-ci comme « la capacité de faire, de faire, de refuser de faire et d’empêcher de faire ». C’est donc un fait classique en géopolitique.
Le Kremlin a fait savoir vendredi qu’il comptait « exercer tous ses droits » à la tête des quinze (en référence aux quinze membres que compte le Conseil de sécurité, Ndlr) a rapporté France 24. Quelle interprétation faire de cette déclaration ?
« Exercer tous ses droits » pour Moscou, c’est utiliser pleinement les instruments à sa disposition non seulement en tant que pays assurant la présidence tournante du Conseil de sécurité, mais aussi en tant que membre permanent disposant du droit de véto au sein de l’instance. Dans ce contexte donc, elle ne va tolérer aucune campagne visant à déstabiliser son agenda.
En effet, tous les pays ne sont pas heureux de voir la Russie prendre la tête de la présidence tournante du Conseil de sécurité à commencer par l’Ukraine. Dmytro Kouleba, le ministre ukrainien des Affaires étrangères, a par exemple tweeté qu’il s’agit d’ « une gifle ». C’est le même son de cloche à la Maison Blanche. Sa porte-parole pense que Moscou utilisera son mandat d’un mois pour « propager de la désinformation ».
A quoi doit-on s’attendre les jours à venir au Conseil de sécurité de l’Onu dans le contexte actuel ?
Les jours prochains seront aussi houleux que les jours précédents. Je crois qu’on a déjà évité le pire. Quand je parle du pire, c’est en vertu de l’article 5 (chapitre II) de la charte de Nations Unies qui dispose que :
« Un membre de l’Organisation contre lequel une action préventive ou coercitive a été entreprise par le Conseil de sécurité peut être suspendu par l’Assemblée générale, sur recommandation du Conseil de sécurité ».
La dernière fois que Moscou est partie (exclue) d’une organisation ayant un rôle similaire à celui de l’Onu, je veux parler de la Sdn ou Société des Nations (ancêtre de l’Onu), le monde est entré dans une conflagration générale, la seconde guerre mondiale.
Or Kiev demandait en décembre 2022 une exclusion de la Russie du Conseil de sécurité. Une revendication qui n’avait pas du tout la chance de réussir pour la simple raison qu’en plus d’être une procédure inédite dans l’histoire de l’Onu, elle devrait nécessiter pour sa concrétisation l’aval de la Russie. Cet aval vaut autant pour une suspension que pour une exclusion.
Enfin et c’est non des moindres, la dernière fois que Moscou est partie (exclue) d’une organisation ayant un rôle similaire à celui de l’Onu, je veux parler de la Sdn ou Société des Nations (ancêtre de l’Onu), le monde est entré dans une conflagration générale, la seconde guerre mondiale.
Toutefois, cette réaction de l’Ukraine a eu le mérite de remettre sur la table l’importance de réformer l’Onu qui souffre de plusieurs maux. Le Conseil de sécurité ne représente pas tous les continents, un seul membre du Conseil de sécurité peut bloquer son fonctionnement, etc. Revoir de façon globale les règles de fonctionnement de l’Onu permettra sans doute d’améliorer les interactions au sein de cet unique canal d’échange entre les Nations.