Le Prb et le Creg publient un livret de référence qui invite les députés à regarder au-delà du Pib pour mieux comprendre les besoins réels des Béninois. Intitulé « Population, économie et soin : quelques repères pour décider au Bénin », et ayant pour auteure principale Aissata Fall, ce livret « veut être un outil de travail : des repères clairs pour relier démographie, économie et soin, et pour aider l’Assemblée nationale à prendre des décisions qui soutiennent la croissance, réduisent les inégalités et améliorent la vie des familles—aujourd’hui et demain »
Publié cette année, le document du Prb, organisme de recherche non partisan et à but non lucratif, est conçu comme un outil pédagogique à destination des députés à l’Assemblée nationale. Pourquoi cette cible ? La réponse est anticipée dans la conclusion même du livret.
« Pour l’Assemblée nationale, l’enjeu est double: mieux lire et mieux interroger. Mieux lire, c’est savoir si les chiffres présentés couvrent bien les besoins des enfants d’aujourd’hui, des jeunes qui arrivent sur le marché du travail demain, et des personnes âgées de plus en plus nombreuses. Mieux interroger, c’est demander : où le budget tient-il compte du travail de soins familial ? que montrent NTA/NTTA sur la charge portée par les ménages ? que disent l’ICDE et la MCS sur nos marges d’action ? » lit-on.
Extrait
Autrement, il s’agit d’amener les élus, en charge du vote des lois et du contrôle de l’action gouvernementale, à « Comprendre qui a besoin de quoi à chaque âge (cycle de vie), qui soutient qui (transferts d’argent et de temps) et ce que le PIB ne montre pas (travail de soins non rémunéré) permet de passer des slogans aux choix concrets. »
À chaque notion technique, habituellement hors de portée des novices, les auteurs proposent une définition simple, puis la clarification se décline en trois rubriques : ”pourquoi est-ce important pour un pays ?’‘, ”en pratique” et enfin ”pourquoi est-ce important pour l’Assemblée nationale ?”.
Des notions clés démystifiées
Globalement, le livret éclaire les liens entre croissance économique, dynamique démographique et politiques sociales. Son message central : la richesse d’un pays ne se mesure pas seulement à la croissance du PIB, mais aussi à la qualité de vie et aux soins, souvent invisibles, qui soutiennent la société.
- Jeunesse, une fenêtre d’opportunité fragile
Avec 62 % de sa population âgée de moins de 25 ans et un taux de fécondité de 5,7 enfants par femme, le Bénin vit encore une phase de transition démographique. Cette configuration, note le rapport, « crée immédiatement une forte pression sur les écoles et les services de base », mais peut aussi devenir un moteur de développement.
« Si cette jeunesse est bien formée, en bonne santé et trouve un emploi, elle peut transformer le pays », souligne le livret.
C’est ce qu’on appelle le dividende démographique, un moment unique où la population active dépasse les âges dépendants et peut générer une croissance accélérée. Mais l’opportunité ne dure qu’un temps.
- Le PIB, un indicateur incomplet
Le rapport invite à relativiser la foi placée dans le Produit intérieur brut (Pib). Certes, la croissance reste robuste : +7,5 % en 2024, après +6,4 % en 2023. Mais le Pib, insiste le document, ne dit pas tout.
« Il ignore le travail de soins non rémunéré, pourtant indispensable au fonctionnement du pays », lit-on.
Au Bénin, le soin domestique non payé représenterait près de 28 % du Pib, dont 69 % assuré par les femmes. Ces heures passées à nourrir, soigner et éduquer ne figurent dans aucune statistique, mais sans elles, l’économie formelle s’effondrerait.
- Une économie générationnelle sous tension
Les Comptes nationaux de transferts (NTA), que le rapport vulgarise, montrent comment l’argent circule entre les générations. En 2025 par exemple, 42 producteurs soutiennent 100 consommateurs. Autrement dit, deux personnes actives financent les besoins de cinq autres, principalement des enfants.
Le déficit global du cycle de vie atteint 600 milliards de Fcfa, dont 3 000 milliards pour les jeunes de moins de 25 ans.
Le document prévient que si cet effort repose uniquement sur les familles, il devient insoutenable. L’État doit relayer ce soutien à travers ses budgets.
- Le soin, un pilier économique à reconnaître
Le livret du Creg consacre une large place à l’économie du soin. Elle est définie comme « le système de production de soins, qu’ils soient fournis par les familles, l’État ou le marché ».
Aujourd’hui, cette économie repose massivement sur le travail invisible des ménages. « Les femmes béninoises y consacrent en moyenne 19 heures par semaine, contre 8 pour les hommes », constate le document.
Reconnaître cette contribution est une question d’équité, mais aussi d’efficacité économique : les services de garde, de santé de proximité ou d’aide à domicile libèrent du temps pour l’emploi et augmentent la productivité nationale.
- Pour une budgétisation sensible au dividende démographique
Le livret plaide, en somme, pour une « Budgétisation sensible au dividende démographique » (Bsdd), c’est-à-dire un alignement des dépenses publiques sur les besoins réels des générations.
L’Assemblée nationale est invitée à devenir le pivot de cette transition : comprendre la démographie pour mieux légiférer, intégrer le soin dans les comptes publics, et mesurer la performance économique à l’aune du bien-être collectif.
Ce document rompt avec la vision purement comptable de la croissance. Il montre que derrière chaque point de Pib se cache une réalité humaine — des enfants à former, des familles à soutenir, des personnes âgées à accompagner. Autant de repères à intégrer pour que le Bénin construise une économie plus inclusive, fondée sur la solidarité intergénérationnelle et la reconnaissance du soin comme richesse nationale.
