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Dr Flavien Dovonou : « Il y a crise de l’eau et de l’assainissement »

Par Sêmèvo Bonaventure AGBON
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Ce mercredi 22 mars, le monde célèbre la Journée mondiale de l’eau (Jme). Cette journée célèbre l’eau et sensibilise à la situation des près de 2,2 milliards de personnes qui vivent sans accès à de l’eau potable, explique Dr Flavien Dovonou, enseignant chercheur à l’Institut national de l’eau (Ine) de l’Université d’Abomey-Calavi. « Accélérer le changement pour résoudre la crise de l’eau et de l’assainissement », c’est le thème de cette édition. Pour le spécialiste en Management environnemental et qualité des eaux, cela signifie que « que nous devons multiplier par 4 » les efforts en faveur de l’eau potable.  Entretien.

Propos recueillis par Béni AGBAYAHOUN

Bénin Intelligent : Quelle est l’importance de la célébration de cette journée dédiée à l’eau.

Dr Flavien Dovonou : La journée mondiale de l’eau qui a lieu le 22 mars de chaque année (depuis 1993 cette journée a commencé par être célébrée), est une célébration des Nations Unies qui met l’accent sur l’importance de l’eau potable, surtout de l’eau douce. Parce que c’est elle qui est vraiment utile pour nous pour la vie.

Quels sont les objectifs visés en célébrant chaque 22 mars la Journée mondiale de l’eau ?

La Journée mondiale de l’eau (Jme) célèbre l’eau et sensibilise à la situation des près de 2,2 milliards de personnes qui vivent sans accès à de l’eau potable. Et il s’agit surtout de prendre des mesures pour lutter contre la crise mondiale de l’eau et l’un des principaux objectifs de cette journée mondiale de l’eau est de soutenir la réalisation de l’Objectif du développement durable numéro 6 qui stipule que, à l’horizon 2030 tout le monde entier doit pouvoir avoir de l’eau propre et avoir un assainissement digne du nom.

« Accélérer le changement pour résoudre la crise de l’eau et de l’assainissement ». C’est le thème retenu la célébration de cette journée. Que peut-on comprendre à travers ce thème ?

Vous savez, le thème retenu « Accélérer le changement pour résoudre la crise de l’eau et de l’assainissement », a tout son sens si nous partons de certaines observations, de certaines remarques. Alors permettez-moi de vous faire part de ces observations et ces remarques. Vous savez, aujourd’hui, les pathologies, les maladies liées au manque d’eau et d’assainissement chaque année entrainent la mort de 1,4 millions de personnes et diminuent l’espérance de vie de 64 millions d’individus sur la terre. Ce n’est pas moi qui le dis, c’est un des rapports de l’Oms, 2022 qui le dit.

Aujourd’hui, nous constatons que, une personne sur quatre, soit 2 milliards de personnes sur la terre n’a toujours pas accès à de l’eau potable, selon un rapport de l’Unicef.  Ensuite, près de la moitié de la population mondiale, soit environ 3,6 milliards de personnes n’a pas accès à des installations sanitaires digne du nom. Pire encore, vous avez 494 millions de personnes qui continuent de déféquer à l’air libre. Et il faut le dire, avec les projections, la demande en eau au niveau mondiale c’est-à-dire en matière de prélèvement d’eau devrait augmenter de 55% d’ici de 2050, principalement pour des raisons de demande accrue pour l’industrie.

«Vous savez, aujourd’hui, les pathologies, les maladies liées au manque d’eau et d’assainissement chaque année entrainent la mort de 1,4 millions de personnes et diminuent l’espérance de vie de 64 millions d’individus sur la terre. Ce n’est pas moi qui le dis, c’est un des rapports de l’Oms, 2022 qui le dit»

Tout ça là, mis l’un dans l’autre, nous amène à dire qu’il y a crise de l’eau et de l’assainissement. Et que faire ? Il faut qu’on puisse travailler dur. Il faut accélérer le changement. Accélérer le changement parce que des efforts se font déjà. Nous sommes dans la décennie de l’eau pour le développement durable qui va de 2018 à 2028 où des efforts se font au niveau de chaque Etat, de chaque pays. Mais il faut accélérer ces efforts, il faut passer à la vitesse supérieure. C’est pour cela que le thème a été retenu.

Quand on parle de la crise de l’eau, c’est de tout ce qui a trait à l’eau. Lorsque vous regardez par exemple des périodes où il y a beaucoup de pluies et il y a inondation. Alors une inondation, c’est de l’eau, mais de l’eau en excès. On a du mal à gérer les inondations. C’est une crise de l’eau. Lorsque vous constatez que par endroit, il y a une forte sécheresse et la nappe phréatique arrive considérablement à diminuer, à baisser, ou alors que les cours d’eau et les plans d’eau tarissent, c’est un problème. C’est une crise de l’eau. Lorsque vous constatez que par certains phénomènes, surtout de nos comportements, nous polluons la ressource en eau, nous polluons les eaux de surfaces, nous polluons les eaux souterraines et nous n’arrivons plus à utiliser ces eaux-là à bon usage, il y a crise de l’eau.

Donc vous voyez, on ne peut pas séparer. Tout ce qui a trait, tout ce qui porte atteinte, tout ce qui agresse la ressource, amène à la crise de l’eau. Et il n’y a pas que ça. L’eau et l’assainissement vont de pair ; les deux vont ensemble.

Quelles sont les causes de cette crise de l’eau et de l’assainissement ?  Le Bénin est-il aussi touché ?

Les causes de cette crise de l’eau et de l’assainissement, il faut nuancer un peu. Nous avons des causes anthropiques, c’est-à-dire liées à l’homme, et nous avons des causes naturelles. Je m’explique.

Lorsque vous regardez un peu le cycle de l’eau, pour que le cycle de l’eau fonctionne de façon correcte, judicieuse, il y a les arbres qui jouent un grand rôle. Lorsque vous déboiser anarchiquement, vous créer un dysfonctionnement du cycle de l’eau et il y aura à long terme, pénurie de l’eau.

Lorsque vous prenez les plans d’eau, nos cours d’eau que nous transformons malheureusement en dépotoirs sauvages d’ordures, et nous jetons les déchets solides dans les plans d’eau, mais il y a beaucoup d’endroits où ces plans d’eau servent pour pouvoir avoir de l’eau potable lorsqu’on fait le traitement de ces plans d’eau. Je n’en veux pour preuve que à Parakou, c’est le fleuve Okpara qui est utilisée pour pouvoir produire de l’eau potable pour la ville de Parakou. Alors, lorsque nous occupons anarchiquement les baffons par exemple, et ces baffons-là qui devraient servir de réceptacles après les pluies pour qu’il n’y ait pas inondation c’est que nous sommes à la base des inondations. Ce sont des bêtises humaines qui nous amènent à faire face à des problèmes de crise de l’eau.

Lorsque vous regardez par exemple la situation de la ville de Cotonou, sur le plan ressource en eau souterraine, ne serait-ce que la nappe phréatique, la nappe phréatique c’est à peine à 1m, 1,5 mètre du sol. Mais quand vous envoyez des déchets, quand vous enterrez des déchets dans le sol un peu partout, ces déchets se décomposent et contaminent la nappe phréatique. On ne peut plus boire cette nappe phréatique parce qu’elle est fortement polluée aujourd’hui. Ça ce sont des causes que nous appelons des causes anthropiques, liées à l’homme. Je suis allé dans une localité vers Grand-Popo, où j’ai vu que des forages sont vraiment salés. L’eau des forages est fortement salée. C’est salé pourquoi ? Parce que on a exagéré. On a pompé ce qu’on appelle le pompage intensif. On est allé plus loin que ce que le forage devait fournir. Et comme la nature a horreur du vide, l’eau de mer s’est infiltrée dans ces forages. Est-ce qu’on peut encore boire cette eau de forage alors que cette eau de forage est remplie maintenant d’eau de mer ? Ça c’est des problèmes que nous avons.

« Et quand on parle de sécheresse, il faut nuancer : il y a la sécheresse météorologique, et vous n’avez plus de nuages dans l’atmosphère, il y a les sécheresses hydrologiques où les ressources en eau disparaissent considérablement dans les aquifères et il y a les sécheresses agricoles où le sol n’a plus de l’eau du coup, les plantes meurent d’elles-mêmes.»

Donc en dehors, il y a aussi les causes naturelles qui sont à la base de ces phénomènes. Quand je prends par exemple le nord du Kenya depuis trois ans, il n’y a plus une seule goutte de pluie au nord du Kenya. C’est la sécheresse prolongée. Et quand on parle de sécheresse, il faut nuancer : il y a la sécheresse météorologique, et vous n’avez plus de nuages dans l’atmosphère, il y a les sécheresses hydrologiques où les ressources en eau disparaissent considérablement dans les aquifères et il y a les sécheresses agricoles où le sol n’a plus de l’eau du coup, les plantes meurent d’elles-mêmes. Donc vous voyez, il y a problème. Tout ça là il faut dire que notre pays n’est pas épargné. Les sécheresses, est-ce que nous en sommes épargnés ? nous n’en sommes pas épargnés. Les vents violents est-ce que nous en sommes épargnés ? Nous n’en sommes pas épargnés. Les phénomènes d’érosions, nous n’en sommes pas épargnés.

Quels liens les changements climatiques ont-ils avec la crise de l’eau et de l’assainissement ?

Je crois que le lien est vraiment fort parce que lorsque vous regardez les manifestations des changements climatiques, l’une des manifestations, les sécheresses prolongées, quand il y a sécheresse prolongée, vous convenez avec moi que les ressources en eau tarissent. Vous allez constater que les plans voient leur superficie fortement diminuée, vous allez constater que les sources voient leur débit diminuer aussi. Et même la nappe aussi baisse. Donc ces changements climatiques qu’on le veuille ou non ont des impacts négatifs sur la ressource eau, que ce soit les eaux de surface, que ce soit les eaux atmosphériques, et même que ce soit les eaux souterraines.

On va dire que les efforts sont faits ou se font.  Quel est alors le taux de desserte en milieu Urbain et Rural ?

Lorsqu’on parle de taux de desserte en milieu rural et urbain, il faut faire très attention parce qu’il s’agit de manipuler des chiffres. Quand nous étions en 2016, nous avions une couverture en milieu rural qui avoisinait 46% de taux de desserte. Mais actuellement, on est autour de 73%. Et des estimations, des projections qui sont faites, ont estimé que à la fin de cette année, nous allons avoisiner les 80%. Alors ça, c’est des statistiques, c’est des chiffres. Maintenant sur le terrain, la réalité est autre. Parce que quand je vais à Gogounou, est-ce que chaque village a un forage ? Quand je vais à Teroubari dans Banikoara, est-ce que chaque village a un forage ? Quand je vais à Karimama, est-ce que chaque village a un forage ? Ça c’est des questions qu’on va se poser. Tout compte fait moi je garde espoir que à l’horizon 2030, tout le monde au Bénin aura de l’eau potable.

Quelle est votre opinion sur le cout de l’eau au Bénin. Est-il accessible à tous ?

Il faut faire attention parce que l’eau a un prix. On ne boit pas n’importe quelle eau. Quand je prends par exemple Ganvié, Ganvié a beaucoup d’eau, Ganvié est sur le lac Nokoué mais Ganvié n’a pas de l’eau potable. Ça peut arriver parce que l’eau sur laquelle vous êtes c’est une eau polluée et vous ne pouvez pas la boire. Avant d’avoir de l’eau potable, il faut traiter correctement cette eau là pour avoir de l’eau potable s’il s’agit d’une eau de surface bien sûr. Et même pour les eaux souterraines, il y a un traitement qui se fait aussi. Alors, ce traitement a un prix, a un coût. Il y a des produits chimiques qu’on utilise pour faire le traitement. Aujourd’hui j’aurais appris que pour pouvoir s’abonner au réseau d’eau, il faut 50.000 francs. Je crois que c’est raisonnable. Ce n’est pas trop. Parce qu’il y a d’autres pays dans lesquels ce coût est vraiment plus élevé. Mais l’idéal aurait été que à long terme ce coût de 50.000 francs diminue un peu pour que même ma grand-mère au village puisse s’abonner facilement pour avoir de l’eau.

La célébration de cette Journée mondiale de l’eau coïncide en effet avec le début de la Conférence des Nations Unies sur l’eau 2023 (22-24 mars, New York). Qu’attendez-vous de ces assises ?

Mes attentes sont vraiment grandes par rapport à ces assises-là parce que moi je crois personnellement que les grandes Nations devraient pouvoir aider les pays en voie de développement comme les nôtres à avoir par exemple beaucoup d’argent pour faire beaucoup de forages. L’eau c’est la vie et aujourd’hui, nos populations ont besoin de l’eau pour pouvoir vivre.

Vous savez, il a été dit la dernière fois que pour pouvoir attendre les Odd à l’horizon 2030, nous devons accélérer, accélérer quoi ? La vitesse. Si par exemple on faisait 100 forages par an, on doit passer à 400. Si par exemple, on faisait 10 forages par an, on doit passer à 40. C’est-à-dire que nous devons multiplier par 4, les efforts que nous faisons pour pouvoir avoir de l’eau potable.

Deuxièmement, ce que nous demandons de cette conférence, c’est de nous accompagner dans l’agriculture intelligente. L’agriculture absorbe 80% de nos eaux douces. Mais je vous s’assure que nous gérons mal l’eau pour l’agriculture. Une plante qui a besoin par exemple de 5 ml d’eau par jour, vous lui accordez 40. Le reste, c’est du gâchis. Aujourd’hui, il y a l’agriculture intelligente où on connait la quantité d’eau qu’il faut mettre au pied de l’arbre pour sa croissance et son développement normal. Ce serait très bien de nous aider à avancer sur ce terrain.

Chaque 22 mars depuis quelques années, l’Institut National de l’Eau marque à sa façon cette journée. Le rendez-vous respecté cette année encore. Quel est le programme des activités prévues dans ce cadre ?

Le programme des activités prévues, nous avons des caravanes à l’université. C’est les étudiants qui ont organisé ça, appuyé par la Coopération allemande Giz, qui nous a vraiment beaucoup aidés dans cette organisation. Trois conférences seront données à l’université par rapport à cette journée-là. L’activité aura lieu au niveau de l’amphi Houdégbé. Nous remercions le recteur de l’Uac qui a mis ça notre disposition l’amphi Houdégbé pour cette manifestation.

Merci.

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