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Starlink :  les affaires africaines d’Elon Musk

Par Sêmèvo Bonaventure AGBON
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Depuis le retour de Donald Trump à Maison Blanche, les bouleversements provoqués par sa réélection pèsent sur l’industrie spatiale africaine. Alors que des pays jusqu’ici réticents au déploiement de Starlink ont fini par céder aux demandes de l’opérateur, il est fort à parier que ce scénario se poursuive, malgré le fait que l’idylle entre Trump et Musk tourne actuellement au vinaigre. En dépit, de nombreux défis de sécurité au Sahel, certains gouvernements et des acteurs de l’industrie aérospatiale multiplient des initiatives pour l’essor d’un astrocapitalisme à l’Africaine.

Comptant à son actif 61 satellites lancés par 17 Etats africains, l’industrie spatiale africaine affiche une dynamique encourageante qui s’articule autour de l’observation de la Terre, du positionnement, de la navigation, et la connectivité Internet au nombre des marchés qui dominent ce secteur. On note par ailleurs depuis un moment que le développement des capacités spatiales africaines repose sur des partenariats avec des nations disposant de technologies avancées.

ll n’y a pas très longtemps, le Maroc ensemble avec l’Egypte et l’Afrique du Sud, faisait partie des rares puissances continentales à disposer d’un satellite de reconnaissance militaire. À l’époque, le Maroc avait conclu en 2013, un contrat avec la France. Dans le plus grand secret, le contrat avait coûté au royaume chérifien la bagatelle de 500 millions d’euros au moment où François Hollande était au pouvoir.

Avec ce satellite, le Maroc disposait d’un avantage décisif qui lui permettait de tout savoir des positions de l’armée algérienne et de celles des insurgés sahraouis au Sahara occidental. Grâce à cet outil, le royaume chérifien disposait aussi de précieuses informations sur l’Espagne qui est le seul pays européen à encore disposer de territoires en Afrique, en l’occurrence au Maroc à savoir les enclaves de Ceuta et Melilla. Il s’agit de deux villes de garnison au nord du Maroc, auxquelles s’ajoute un chapelet d’îles et de pignons rocheux collés à la rive marocaine. De son côté, l’Espagne ne disposait pas des moyens d’observations identiques à ceux du Maroc. L’Espagne disposait bien des parts dans le satellite de reconnaissance militaire français Helios, mais à l’époque, ces parts ne représentaient pas plus de 2,5 %.

À cette époque, l’Espagne devait par conséquent se résigner à n’utiliser que 2,5 % du temps spatial de ce satellite. Or, quand le besoin de le faire se faisait sentir, la France n’a pas hésité à faire la fine bouche. En 2002 par exemple, il fut impossible à l’Espagne de se procurer des images satellites d’un îlot espagnol appelé Perejil. Durant quelques jours, cet îlot avait été occupé par le Maroc. Pour justifier son refus, la France avait évoqué des raisons techniques, ce qui en retour n’avait pas manqué de rendre les Espagnols fous de rage.

Cette situation a toutefois bien évolué depuis lors. L’État espagnol dispose désormais des services destinés aux communications militaires et gouvernementales. Compte tenu du fait que l’Afrique n’investit que 7,7 milliards de dollars dans l’espace, les plus grandes entreprises spatiales mondiales jouent également un rôle important afin que le continent se dote d’ applications spatiales dans les domaines de l’agriculture, de la gestion des ressources en eau, de la prévision des catastrophes, de la planification urbaine, mais aussi dans le secteur de la fourniture Internet.

Internet par satellite en Afrique : le cas Starlink

Déjà disponible au Bénin depuis novembre 2023, Starlink cherche à renforcer sa présence, au regard des défis sécuritaires qui persistent, notamment dans le nord du pays. Avec les autorités béninoises, il a été question d’explorer des opportunités de collaboration stratégique autour du renforcement de la connectivité pour une surveillance plus efficace des frontières par exemple. Ces derniers mois , les assauts contre l’armée béninoise se sont intensifiés dans le nord du pays qui paie le prix fort d’une politique sécuritaire défaillante . Au mois de février, le ministre de l’Économie et des Finances du Bénin, Romuald Wadagni, indiquait avoir eu des échanges afin d’explorer des opportunités de collaboration stratégique avec Starlink sur le sujet avec une délégation de Starlink.

Pour sa part, Airtel Africa a annoncé la signature d’un accord de partenariat avec la société américaine SpaceX, pour l’intégration des services Internet satellitaires, Starlink à son offre data. À travers cet accord, la branche africaine de la filiale africaine du groupe indien Bharti Airtel pourra faire du backhauling cellulaire.

Il s’agit d’une méthode visant à relier les antennes-relais au réseau principal via le satellite. Pour cet opérateur télécom, cette manœuvre permettra de proposer du haut débit, aussi bien en zones urbaines que rurales, ce qui permettra de séduire davantage de consommateurs mobiles avec une qualité de service renforcée.

Avec ses 6 700 satellites situés à 550 km d’altitude, Starlink vient également de nouer un partenariat avec Air France. Ce service sera accessible à tous les clients, sans frais supplémentaires, via un simple compte Flying Blue, le programme de fidélité gratuit d’Air France. En misant sur Starlink, Air France s’aligne sur d’autres compagnies aériennes déjà séduites par la solution de SpaceX, à l’instar de United, Qatar Airways ou encore Air New Zealand. Pour sa part, Air Canada a opté pour un partenariat avec Eutelsat, afin de proposer une connexion via la constellation OneWeb à ses passagers.

En Afrique, ce partenariat entre Air France et Starlink, représente une véritable aubaine, car Air France maintient une présence significative sur le continent, malgré certains défis géopolitiques et la concurrence d’autres compagnies aériennes. De fait, à travers ce partenariat, Starlink et Air France vont sans doute se lancer dans une véritable lutte au couteau afin d’explorer un minerai nouveau à savoir les données personnelles des passagers du transport aérien.

Le profit : la quête absolue des libertariens, apôtres de l’absence de loi

Constructeur de fusées, de voitures électriques, milliardaire atypique et volontiers provocateur, Elon Musk a mis la main sur l’influent réseau social Twitter en 2022. Adepte d’un individualisme radical qu’il promeut, à travers l’absence de toute forme de contrainte, et plus particulièrement de l’Etat, le libertarianisme du patron de Starlink, réside dans son attachement à la plus grande liberté qui soit. À travers son rachat de la plateforme X, c’est précisément le projet qu’il souhaite mettre en œuvre sur ce réseau social.

Il y a de cela quelques jours, le réseau social X a intenté une action en justice contre l’Etat de New York afin de contester une loi qui régule les contenus des plateformes en ligne. Dès lors, en observant cette démarche, on peut se poser des questions sur les réelles intentions de Musk, qui est de plus en plus présent sur le marché africain, notamment grâce à son service d’accès à Internet par satellite.

Au Bénin par exemple, plusieurs organisations de défense des droits humains appellent à une révision du Code du numérique. Or, à travers l’action qu’il vient d’intenter en justice, Musk estime que le gouvernement n’a pas à dicter les limites du débat public. Par conséquent, le milliardaire sans limites en profite pour dénoncer une ingérence politique dans la gestion des contenus en ligne.

En observant l’action qu’il vient d’entreprendre sur le terrain juridique, on peut penser que dans un pays où, les internautes sont très éloignés de l’information et ne sont pas conscients de ce qui se joue sous leurs yeux que Musk, tout-puissant et incontrôlable qu’il est, ferait tout pour bloquer la mise en œuvre de lois visant à réguler les plateformes en ligne. Or, la loi qu’il attaque en justice actuellement ne demande aux plateformes que de produire deux fois par an un rapport sur les actions prises pour lutter contre la désinformation et la haine en ligne.

Musk : une soif insatiable de contrats et de commandes publiques

Depuis une vingtaine d’années, les origines du succès de Musk sont connues. L’entrepreneur qu’on ne présente plus, profite d’importantes commandes et de crédits d’impôt de la part des Etats locaux et du gouvernement fédéral américain. Dans les années 2000, il mène de front deux projets que sont la voiture électrique et la conquête de l’espace. Avec des services déjà déployés dans 18 pays africains, Starlink, le fournisseur de connectivité par satellite en orbite basse, prévoit d’étendre son empreinte à 20 nouveaux marchés en 2025 et cinq supplémentaires en 2026.

Cependant, ces chiffres cachent de nombreux enjeux économiques, technologiques et géopolitiques qui méritent une analyse approfondie. Au Niger et au Bénin par exemple, les autorités ont signé un accord avec le même fournisseur qu’est Starlink dans le but d’améliorer la couverture Internet.

Depuis, les tensions ne cessent de grimper entre les deux voisins pendant que Starlink continue de tisser tranquillement sa toile alors que dans le même temps, qu’on assiste à des sorties médiatiques controversées entre le Bénin et ses voisins limitrophes. On note aussi des accusations qui fusent de toute part concernant des complots sécuritaires, au fur et à mesure que les incidents sécuritaires se multiplient au nord du Bénin, des incidents qui touchent aussi bien les populations civiles que les militaires.

Par ailleurs, les kits Starlink, le système d’Internet satellitaire du milliardaire Elon Musk, font désormais partie du bagage des groupes djihadistes ou rebelles du Mali au Tchad en passant par le Burkina. Depuis deux ans, on retrouve ainsi de nombreuses images sur les réseaux sociaux, faisant état de l’utilisation du réseau Internet de Musk par ces groupes armés. Les affaires de Musk, qui a eu la chance de bénéficier de plusieurs contrats publics et militaires aux Etats Unis, pourraient donc continuer a prospérer dans cette région de l’Afrique en proie à la menace terroriste.

Sur le plan International, le même constat se fait. En Italie par exemple, la fourniture d’un système de communication élaboré par Musk pour le compte des autorités et des forces armées en Méditerranée, rencontre les critiques des partis d’opposition de Giorgia Meloni.

Entre temps, le président américain décide d’appuyer sur l’accélérateur dans les négociations commerciales un peu partout. À titre d’exemple, on peut faire allusion à la récente instauration par l’administration Trump d’un tarif douanier minimum de 10 % sur les importations provenant de l’Afrique subsaharienne qui marque la fin, de facto, de l’AGOA. Cette décision n’a pas manqué de susciter plusieurs sorties au vitriol à l’encontre du nouveau locataire de la Maison-Blanche.

De fait, Washington actualisait, chaque année depuis l’an 2000, la liste des pays éligibles à l’AGOA en fonction notamment de leur attachement à l’économie du marché, au respect de l’Etat de droit et aux politiques de lutte contre la pauvreté. Le dispositif prend aussi en considération les avancées ou les reculs démocratiques des pays concernés. En plus du nouveau tarif douanier, c’est désormais plus de la moitié du continent qui pourrait être frappée par une mesure d’interdictions de voyage aux États-Unis. Dans le même ordre d’idées, Trump a également annulé un décret adopté par Joe Biden en 2023, qui encadre le secteur de l’intelligence artificielle sur le plan international.

En réponse aux menaces de l’administration Trump d’élargir les restrictions de voyage aux États-Unis à 36 nouveaux pays du continent, Yusuf Tuggar, ministre nigérian des Affaires étrangères estime qu’une telle initiative ferait dérailler les efforts en vue de conclure un accord sur les métaux rares et l’énergie avec les pays d’Afrique de l’Ouest. Dans ce contexte trouble et incertain, Musk continue toutefois d’avancer ses pions.

Le milliardaire qui a une soif illimitée pour les profits pourrait peut-être tirer son épingle du jeu. Au Mali par exemple, les autorités du pays avaient déploré dans un premier temps, l’utilisation des kits starlink par des groupes armés. L’importation et la commercialisation des équipements Starlink sont toutefois de nouveau autorisées dans le pays, le temps de mettre en place un cadre réglementaire et une plateforme d’enregistrement et d’identification de l’ensemble des utilisateurs sur le territoire malien.

Auteur

Dr Qemal Affagnon est responsable Afrique de l’Ouest de l’ONG de défense des droits numériques, Internet Sans Frontières. Dans le cadre de ses travaux de recherche, il a publié plusieurs articles académiques sur la multifonctionnalité de l’Internet et des réseaux sociaux dans des revues internationales. Il est également co-auteur du livre Internet Shutdowns in Africa : Technology, Rights and Power, paru aux éditions Bloomsbury. En qualité d’expert électoral, il a observé des scrutins électoraux en RDC, en Afrique du Sud, au Mozambique et en Russie. Dans le cadre de l’Examen Périodique Universel, il milite en faveur de la révision du texte de la loi portant Code du Numérique au Bénin.

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