Lancé vendredi 20 août 2021, le livre de témoignages sur le harcèlement sexuel en milieu professionnel, « Bris de silence » est déjà accessible en version PDF sur les réseaux sociaux, trois jours seulement après. Une « version piratée…incomplète et non authentique », a crié l’auteure, la journaliste Angela Kpéidja dans une publication sur sa page Facebook. Cette actualité rappelle la piraterie des œuvres littéraires ou de l’esprit. Phénomène à la peau dure malgré une nouvelle loi vieille de quinze ans qui l’a prévu et puni.
Septembre 2020, le Rév. Docteur Nicodème Ibiladé Alagbada revenait au Bénin en direction du Cameroun. Il conduisait une mission des Éditions Clé Yaoundé, première maison d’édition en Afrique francophone, qu’il dirige depuis son départ de la tête de l’Eglise protestante méthodiste du Bénin (Epmb). L’objectif : sensibiliser sur les dangers de la piraterie des œuvres littéraires.
« Deux de nos ouvrages sont retenus dans le programme scolaire [2020-2021] du Bénin : ‘’Le Lion et la perle’’ de Wolé Soyinka et ‘’La Secrétaire particulière’’ de Jean Pliya. Mais à notre grande surprise, nous avons constaté que ces deux livres sont piratés au Bénin et ils se vendent à vil prix, dans les feux, au niveau des carrefours, à Dantokpa et consort ».
Ce constat, le Bénin n’est pas le seul pays concerné. Une étude de la Fédération internationale de l’industrie phonographique (Ifp) a montré qu’en 2013, « les pirates ont vendu 8,6 milliards de dollars US dans le monde ». Il ressort de cette étude qu’un Cd sur trois vendu dans le monde est piraté. « Dans le domaine du cinéma, les Etats-Unis perdent par an 2,4 milliards de dollars Us et dans le domaine des logiciels 160 milliards de dollars Us », rapporte Dieudonné Sokpo, l’un des directeurs des Affaires juridiques et de la coopération (Dajc) qu’a connu le Bureau béninois du droit d’auteur (Bubedra). Les chiffres amènent l’Ifp à conclure que de nos jours « La piraterie est devenue plus rentable que les activités commerciales liées à la drogue et à la cocaïne ».
Au Bénin, des vendeurs ambulants fracassent les prix de livres originaux, de Cd et les vendent moins chers. Ce qui leur permet d’être toujours en avance sur les artistes et les auteurs eux-mêmes. « La saisie ne suffit pas pour freiner le mal. Car, les vrais pirates, ce ne sont pas ceux qui se promènent dans les feux, les boutiques, les marchés avec la tête ou les bras lourds d’œuvres contrefaçonnées, mais plutôt ceux qui sont dans l’ombre et qui les déversent sur le marché. La lutte sera souvent vaine tant qu’on n’aura pas déniché ces derniers qui ne paient ni taxe ni impôt », prévient-il lors d’un entretien.
S’il suffisait d’une loi pour être à l’abri, le Bénin est sauvé. Hélas ! En plus de la ‘’Commission nationale de lutte contre la piraterie des œuvre littéraires et artistiques’’, le pays dispose, en effet, d’un texte juridique qui réprime le phénomène. Il s’agit de la loi n°2005-30 du 10 avril 2006 relative à la protection du droit d’auteur et des droits voisins en république du Bénin.
L’article 108 du chapitre II dispose que « Toute édition, reproduction, représentation, exécution ou diffusion à des fins commerciales sur le territoire de la république du Bénin d’une œuvre ou d’une prestation protégée en violation des droits de l’auteur et du titulaire des droits voisins constitue un délit de contrefaçon d’œuvre de l’esprit prévue et punie conformément aux dispositions de la présente loi ». L’article 109 renchérit que « La reproduction d’œuvres littéraires ou de l’esprit sans autorisation préalable des titulaires de droit d’auteur et des droits voisins et de l’organisme de gestion collective…est qualifiée de piraterie d’œuvres littéraires et artistiques. » L’alinéa 1er du même article précise que « La piraterie d’œuvres littéraires et artistiques est un délit. Elle est une contrefaçon punie par les dispositions de la présente loi ».
Pas d’infraction sans sanction. Les peines prévues sont sans complaisance. « La contrefaçon, sur le territoire béninois, d’ouvrages publiés au Bénin ou à l’étranger est punie d’un emprisonnement de trois mois à deux ans et d’une amende de cinq cent mille (500 000) à dix millions (10 000 000) de francs ou de l’une de ces deux peines seulement sans préjudice de la réparation des dommages subis par les victimes. » (Article 110). Sont punis des mêmes peines, « le délit, l’exportation et l’importation des ouvrages contrefaits ». Sans oublier leur commercialisation sur le territoire béninois, prévue et punie également à l’article 113.
Dans le cas d’espèce, celui de la diffusion de la version pdf, quoique incomplète et non homologuée de « Bris de silence » dont la Criet est déjà saisie, les auteurs violent l’article 112 de la même loi qui stipule que « Sont également punies des peines prévues à l’article 110,…toute fixation, toute reproduction, toute communication, mises à disposition du public, à titre onéreux ou gratuit, ou toute télédiffusion d’une prestation ou d’un programme réalisé au mépris des droits moraux et patrimoniaux reconnus aux auteurs, aux artistes interprètes ou exécutants ».
Déception

Il y a quinze ans, « En se dotant de la loi n°2005-30 du 10 avril 2006 relative à la protection du droit d’auteur et des droits voisins,…le Bénin, exprime sa ferme volonté de créer les conditions juridiques et institutionnelles effectives en vue de permettre aux différents titulaires des droits d’auteurs et des droits voisins de vivre réellement des fruits de leur travail de création intellectuelle », justifiait Théophile Montcho, ministre de la Culture, des sports et des loisirs au moment de la promulgation de ladite loi. Mais les fruits n’ont pas tenu la promesse des fleurs.
Les facteurs favorisant l’activité illicite de la piraterie sont tout aussi variés. S’agissant des livres, Alagbada concède leur cherté en librairie et parfois, leur inaccessibilité.
« Moi-même j’avais eu à acheter « Kondo le requin » et « La Secrétaire particulière » auprès d’un jeune homme, marchand ambulant qui les a vendus à 1000 F alors que ces deux livres coûtent environ 2500F en librairie. En tant que directeur de Clé Yaoundé, nous sommes obligés de réfléchir. Nous ne pouvons pas aller en deçà de 1000F parce que nos livres sont de qualité. C’est alors que nous nous sommes dit que désormais, nous allons demander à nos libraires, qu’au lieu de vendre ce livre à 2500F, ils vont les vendre à 1500F, à 1200F et ainsi de suite. Donc nous allons faire une réduction de prix à la livraison parce que si le prix auquel nous les livrons aux libraires est bas, ils ne peuvent pas aller trop au-delà », nous a-t-il confié lors d’une interview à Cotonou en 2020.
Le corpus des œuvres protégées est très vaste. Au regard de l’article 8 de la loi précitée, elles vont, entre autres, des livres, brochures, aux œuvres créées pour la scène ou pour la radiodiffusion en passant par les œuvres de compositions musicales avec ou sans paroles, les œuvres lithographiques, picturales et de dessins, et les œuvres photographiques… Les auteurs continuent d’assister impuissamment à leur contrefaçon presque quotidienne.
Le photographe professionnel Fiacre Gbèdiga en a été victime récemment. « Ils sont prêts à prendre en toute quiétude notre propriété et à enlever la signature pour en faire la leur. Je suis très fâché après avoir vu une affiche portant mon œuvre mais la signature a été rognée, supprimée », témoigne-t-il. La vedette du rythme « Zinli rénové » a dû consacrer une chanson dénonciatrice à ce délit. « Si ma carrière tient encore, c’est grâce à vous qui achetez mes Cd originaux. C’est vous qui maintenez le feu allumé, c’est pourquoi j’ai composé cette chanson pour vous en remercier. », dit-il dans la chanson intitulée ‘’Ta tché na gla’’ en 2013. Par contre, « Vous qui achetez mes Cd piratés, quel service pensez-vous me rendre ? 25F de vous ne me parvient. Je ne vends pas de Cd contrefaits. C’est l’œuvre de quelques méchantes personnes qui achètent un Cd authentique pour en reproduire massivement après », a décrit Anice Pépé.
Que faire ?
Pourquoi la piraterie est-elle répréhensible ? Parce qu’elle empêche les auteurs de bénéficier des redevances ou retombées économiques de leur nuit de réflexion, leur concentration et investissement. Conséquence, les faussaires vivent dans l’opulence alors que beaucoup d’artistes ou auteurs croupissent dans la misère, à l’exemple du célèbre chanteur Assa Cica mort dans l’indigence après une longue et riche carrière musicale.
« La piraterie met en difficulté les librairies …qui vendent nos ouvrages. Quand ces ouvrages sont piratés, vous comprenez très bien qu’il y aura de la mévente… Un livre piraté et vendu, l’auteur ne reçoit pas le droit qu’il lui revient », déplore le Rév. Docteur Nicodème Ibiladé Alagbada, directeur des Éditions Clé Yaoundé.
La persistance du phénomène malgré la loi, est l’expression d’une défaillance. Dr. Alagbada la situe à deux niveaux : le défaut de sensibilisation et la coresponsabilité des acteurs eux-mêmes. « Souvent, ceux qui piratent les œuvres, ceux qui les vendent ne savent pas qu’ils risquent d’aller en prison car ils enfreignent à la loi. Par contre certains le font consciemment puisque les éditeurs et auteurs ne réagissent pas (…). Malheureusement, dans le rang des distributeurs et des libraires, il y en a qui vendent des livres piratés », justifie-il. Avis que partage Esckil Agbo.
L’acteur du livre interpelle trois instances. « Primo, la Direction des arts et du livre. Je souhaite que cette direction puisse vraiment déclencher une guerre contre la piraterie notamment en milieu du livre. Secundo, les maisons d’édition. Il faut qu’elles pensent à la sécurisation de leurs ouvrages. Enfin, les imprimeurs. Souvent les acteurs de la chaîne du livre, les écrivains surtout ne les calculent pas quand on parle de livre et lecture. Mais ils constituent une très grande force dans la publication d’un livre », détaille-t-il.
L’impunité reste surtout l’aiguillon des faussaires.
