Home Actualité Bénin : Grave conflit domanial à Djokpékan, commune de Djidja

Bénin : Grave conflit domanial à Djokpékan, commune de Djidja

Par Sêmèvo Bonaventure AGBON
0 Commentaire

Depuis des années, les habitants de Djokpékan se battent –sans succès- contre ce qu’ils appellent l’ « accaparement de leurs terres avec des complicités dans la Justice ». Au cœur du bras de fer, des centaines d’hectares arables dont ils vivent de pères en fils il y a plus de 120 ans. Nous sommes dans l’arrondissement de Monsourou, commune de Djidja, à 41km de Bohicon. Bénin Intelligent est allé lundi 22 avril à la rencontre des victimes estimées à un millier.

« Vous serez tous arrêtés et jetés en prison. Nous viendrons ici avec des géomètres mesurer librement et sans crainte tout le domaine jusqu’à vos habitations et tout vendre sans exception ». Ce sont des menaces reçues par la population de Djokpékan. Elle les a transcrites dans une plainte adressée au président de la République, le 3 mai 2023 dont Bénin Intelligent a obtenu copie.

Lundi 22 avril, le journal a emprunté la sinueuse et difficile piste qui mène à Djokpékan. Dans ce hameau de la commune de Djidja perdu au milieu d’un paysage agricole, chefs et mères de famille, femmes de ménage et enfants exultent à notre arrivée.

« Enfin nous serons entendus jusqu’à Cotonou », s’exclame Savassi Zohundo, octogénaire et visiblement la plus vieille du milieu. « Regardez mes cheveux, ils disent assez sur mon âge. Ces terres appartiennent à nos parents qui nous les ont léguées », nous lance-t-elle en se décoiffant la tête. Dieudonné Somadjè, guide et une des victimes présumées la désigne justement pour intervenir en premier.

Depuis environ cinq ans, les habitants se battent –sans succès- contre ce qu’ils appellent l’accaparement de leurs terres. Avant l’entrée, les parcelles en bordure du hameau sont morcelées et déjà vendues. Les acquéreurs les ont marquées par des plaques signalétiques et des bornes. « Ce sont nos terres héritées de nos pères qui les ont reçues de leurs grands-parents. Aujourd’hui M. et ses acolytes nous les arrachent », dénonce Houedo Tohossi, un chef de famille rencontré sur place.

Une coalition inconnue à la manœuvre

« Moi j’ai grandi ici, j’ai toujours cultivé ces terres. Mes enfants qui sont nés ici sont déjà adultes et ont fondé déjà leurs propres familles. Nous avons toujours habités ici. Aujourd’hui nous sommes menacés. Les autres nous ont prévenus ouvertement qu’ils sont prêts à injecter autant d’argent qu’il faut pour gagner contre nous », appuie d’une voix grave Dieudonné Somadjè.

Selon les récits recueillis et documents consultés par Bénin Intelligent, la tribulation des agriculteurs remonte à environ cinq ans lorsque la « coalition » dirigée par le sieur A. V. Martin est arrivée dans le hameau accompagnée de géomètres.

« Ils ont mesuré plus de 500 hectares de terre sur laquelle nous étions nés et les avaient vendues… Alors que ce sont nos grands-pères qui étaient les premiers occupants de ce domaine, il y a plus de cent vingt (120) ans », racontent les victimes dans une plainte adressée en février 2023 à la Cellule d’analyse et de traitement des plaintes et dénonciations à la Présidence de la République.

Depuis 2023, une bataille juridique s’est installée. Les habitants ont sollicité le 20 novembre 2023 une demande d’audience auprès du ministre de la Justice qui à son tour a confié le dossier au Procureur général de la Cour d’Appel d’Abomey. Mais les victimes ont dû envoyer une deuxième demande d’audience le 15 avril 2024.

Car suite à la première, « Vous aviez demandé au Procureur général de la Cour d’Appel d’Abomey de nous recevoir. Ce dernier nous avait reçus le 28 novembre 2023. Mais il n’était pas à la hauteur de nos préoccupations. C’est pourquoi nous vous adressons à nouveau la présente demande d’audience ».

En réalité, les populations de Djokpékan croient que celui-ci est complice de la « vente illicite de nos domaines de labour ». Et c’est ce qu’elles exposent ensuite au chef de l’Etat dans une autre « plainte –du 3 mai 2023- contre le Procureur du Tribunal d’Abomey ». Dans ladite lettre consultée par Bénin Intelligent, les signataires motivent leurs accusations à son encontre par l’arrestation jugée arbitraire de trois des meneurs de la résistance puis leur condamnation à douze mois de prison dont six fermes.

« Le procureur les avait appelé pour les écouter personnellement. Ces trois hommes sont partis avec leur propre moto voir le Procureur. Ce dernier les jeta en prison en moins de deux minutes, le jeudi 9 mars 2023. Quatre jours après cet acte du Procureur, les bradeurs de domaine sont descendus dans la ferme avec des géomètres et des acquéreurs de domaines. Ils ont commencé par implanter des plaques et des bornes en désordre. Ils ont vendu presque toutes les terres que nous labourons actuellement pour subvenir à nos besoins », lit-on dans la plainte signée de 21 représentants des victimes.

Problème récurrent

L’actuel maire de la commune de Djidja n’est pas au courant du dossier de Djokpékan. C’est plutôt son prédécesseur, Dénis Glégbèto qui avait été saisi d’une demande d’intervention en date du 3 octobre 2022. Il avait alors « remis le dossier dans les mains du président du Tribunal de conciliation de Djidja, qui sur des convocations, a écouté les deux parties … »

À Djidja, le grenier agricole du Zou, les litiges fonciers sont fréquents. Tout comme dans tout le pays au point que le gouvernement créa une Cour spéciale des Affaires foncières. Le chef de l’arrondissement de Monsourou le confirme. « Ces problèmes sont légion dans mon arrondissement ; c’est vraiment dommage ce qui se passe », confie-t-il à Bénin Intelligent. « Je suis au courant du dossier [de Djokpékan] mais je ne me suis pas approprié car la loi actuelle sur la gestion du foncier épargne les chefs d’arrondissement ».

Hier mardi 23 avril, Bénin Intelligent a suivi les populations au Tribunal d’Abomey où une audience était programmée. Les représentants de Djokpékan y étaient, mais pas la partie adverse comme à son habitude selon nos sources.

« Nous avons saisi la Justice sans gain de cause. À présent nous nous en remettons à l’intervention du chef de l’Etat. Ceux qui nous discutent nos terres aujourd’hui, nous ne les avions jamais vus auparavant. Ils nous ont menacés que nous n’aurons jamais gain de cause. Nous appelons le chef de l’Etat au secours. Nous ne sommes pas des salariés, nous vivons de la terre. S’ils vendent tout de quoi allons-nous vivre ? Nous sommes brimés », se lamente l’un d’eux.

Ces populations essentiellement agricoles cultivent notamment du coton, soja, maïs, arachide, haricot. Confiants à la dévolution successorale, ils n’ont pas daigner se faire délivrer des attestations de détention coutumière. Ils montrent les géants palmiers et des Vodun du milieu etc. comme témoins de leur vieille présence.

LIRE AUSSI

Radicalisation et extrémisme violent (IV) : L’accès au foncier, facteur de grande insécurité au nord-Bénin

Accès à l’eau potable : Des avancées en villes, calvaire en zones rurales

Djokpékan

Lire aussi

Laisser un commentaire

A propos de nous

Bénin Intelligent, média au service d’une Afrique unie et rayonnante. Nous mettons la lumière sur les succès, défis et opportunités du continent.

À la une

Les plus lus

Newsletter

Abonnez-vous à notre newsletter pour être notifié de nos nouveaux articles. Restons informés!