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Restaurer le Fa : Une urgence culturelle et scientifique selon Gratien Ahouanmènou

Par Sêdaminou Béni AGBAYAHOUN
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À travers un colloque scientifique international, l’édition 2025 du Festival des masques a centré les réflexions sur le Fa et ses pratiques, riche en savoirs endogènes dans les pays du Golfe de Guinée. Plusieurs thématiques y ont été abordées. Elles ont permis de lever un coin du voile sur cet héritage ancestral « diabolisé » par le colon et que les praticiens trouvent judicieux de restaurer. Acteur de la vulgarisation de ces connaissances, le poète Gratien Ahouanmènou se réjouit de l’implication du gouvernement dans la vulgarisation de ces savoirs endogènes, lutte qu’il mène déjà depuis 16 ans. Dans cet entretien exclusif avec Bénin Intelligent, il propose des perspectives de vulgarisation du Fa.

Au terme de ce colloque scientifique, que retenez-vous globalement de ce qui a été dit sur le Fa, votre sujet de prédilection depuis 16 ans ?

Je me considère comme saltimbanque, mais surtout vulgarisateur de nos savoirs endogènes, je suis engagé depuis 16 ans à vulgariser la sagesse hautement éducative et universelle du Fa. Je suis venu en auditeur libre et comme c’est mon sujet depuis 16 ans, c’était une occasion pour moi de venir apprendre, de venir m’instruire.

J’ai eu le plaisir de constater qu’au plus haut niveau, notre gouvernement s’investit dans la valorisation de nos savoirs endogènes. Parce que consacrer un colloque scientifique à une tradition telle que le Fa qui a été longuement diabolisé par les religions importées et par la colonisation, c’est absolument courageux, mais c’est surtout vital et indispensable pour notre réveil. Parce que nous sommes héritiers de savoirs endogènes, de sciences. Mais que l’instruction coloniale et les religions auxquelles nous avons adhéré, le christianisme et l’islam, nous ont appris non seulement à diaboliser, mais à renier.

Or, je vous pose une question très simple. Ce n’est pas que je vous la pose à vous, mais je la pose à notre conscience collective : Au rendez-vous du dialogue des civilisations, quelle question sera posée à chacun ? Elle est simple. Qu’as-tu d’authentique et universel, d’utile et beau, pour éclairer la famille humaine ? D’authentique et universel, d’utile et beau.

Vous êtes africain et vous dites Jésus, Marie, Joseph. Est-ce que l’européen ne va pas ricaner ? Si vous dites Mohamed, Allah. Est-ce que l’arabe ne va pas ricaner ? Vous serez ridicule.

Mais si vous dites Ifa Orumila et que vous êtes capable d’expliquer la dimension scientifique de cet héritage, qui est l’ancêtre du binaire et de l’informatique.

Expliquez-nous cette analogie que vous faites entre le Fa et l’informatique.

Le Okpèlè, Akplè ou Agoumaga d’un Babalawo est l’ancêtre de l‘octet. Parce que cet instrument qui comporte 8 demi-coques de noix qui chacune fonctionnent comme ce qu’on appelle aujourd’hui un bit, une unité d’information à deux valeurs distinctes. Si vous jetez le Okpèlè, chaque demi-coque de noix présente ou la face creuse, symbolisée par un trait, ou la face convexe symbolisée par deux traits. Or, il y en a huit. Huit bits, c’est exactement un octet.

Sauf que nous, nous manipulons l’octet depuis 4000 ans avant Jésus-Christ. Les occidentaux n’ont conceptualisé en mathématiques l’Octet qu’en 1852-1853. Nous avons 6000 ans d’avance. Mais nous sommes devenus ignorants parce que amnésiques, la colonisation a effacé tout cela de notre mémoire.

Et donc, c’est heureux qu’on restaure ces savoirs qui nous permettent d’être dignes au rendez-vous de l’universel et de présenter un héritage aussi scientifique que sapientiel et spirituel.

Donc moi, ce que je retiens en gros, c’est la reconnexion à nous-mêmes et à notre héritage. Je nous vois comme un arbre qu’on a déraciné, qu’on a posé sur le pavé. Qui était en train de se dessécher et que le premier coup de vent était prêt à battre. Eh bien là, nous sommes en train de remettre le tronc sur ses racines pour qu’il retrouve sa vitalité, qu’il donne du feuillage et qu’il donne des fruits.

Donc, nous avons absolument intérêt à nous reconnecter à nos racines. Et c’est en ça que moi, je salue la tenue de ce colloque où j’ai beaucoup appris du fait de la contribution de nos frères venus du Nigeria. Eux qui, à la faveur de la colonisation anglaise qui n’était pas assimilationniste, sont restés campés dans leurs racines. Et eux, vous voyez l’authenticité, la fierté, le dynamisme avec lequel ils en parlent. Ils nous apportent ce souffle-là pour notre renaissance et c’est tout à fait louable.

Lors de ce colloque, nous avons appris que les nigérians ont tenté, d’avoir une “Bible” des enseignements du Fa. Une démarche qui s’est révélée infructueuse, voire impossible. Alors comment contribuer à la sauvegarde et à la vulgarisation du Fa pour justement éviter les déviances soulevées lors de ce colloque ?

Je voudrais nous mettre en garde contre un danger. C’est de vouloir plaquer les schémas exogènes sur nos réalités endogènes. Vouloir écrire une Bible ou un Coran du Fa, c’est une aberration. Nous ne sommes pas des arabo-musulmans, nous ne sommes pas des judéo-chrétiens.

Comment voulez-vous définir l’infinitude ? Le Fa, c’est l’infinitude, mais qui a une structure stable. On peut décrire la structure stable. Des ouvrages existent.

Moi, j’ai découvert le Fa à travers le livre de feu le Dr Basile Adjou-Moumouni. « Le Code de vie du primitif : Sagesses africaines selon Ifa », écrit en quatre tomes et qui fait au total 1200 pages. J’ai dévoré les 1200 pages en trois mois.

Mais combien de Béninois sont lettrés ? 20 à 25 %. Parmi les lettrés, combien vont lire 1200 pages ? On descend à 0,008 %. Donc, pour permettre aux Béninois de se réconcilier avec ce savoir, inspiré par le livre du Dr Adjou-Moumouni, j’ai écrit un petit livre de vulgarisation qui fait 110 pages ; « Quelques clés d’Ifa ». Mais la plupart de mes lecteurs se sont précipités pour aller acheter le livre source. Parce que je leur ai donné le goût en leur expliquant l’essence de la chose. C’est ce travail qu’il faut faire.

Mais prétendre copier les schémas des autres pour écrire la Bible du Fa, c’est aller vous cogner la tête dans le mur ou aller vous jeter dans la mer. C’est aussi suicidaire. Oublions le référentiel exogène et restons qui nous sommes.

Pour vous qui avez commencé ce combat de vulgarisation depuis 16 ans maintenant, quelle serait la prochaine étape ?

Au terme de mes 16 années de recherche sur le Fa, j’ai composé 256 poèmes pour représenter les enseignements et les préceptes des 256 légendes clés du Fa. Ce recueil de poèmes sera encore moins volumineux que mon livre de vulgarisation.

Il faut prendre l’initiative. Rien ne tombera du ciel. Nul ne valorisera notre culture mieux que nous-mêmes à notre place.

Donc, il faut que chacun prenne son talent, son génie, ses compétences pour se dire, « le Fa, c’est infini, je ne peux pas tout gérer, mais moi, il y a cette fenêtre qui m’intéresse, je vais m’appliquer à la valoriser ».

Et c’est ensemble qu’on écrira l’encyclopédie du Fa qui permettra à quiconque de découvrir cet héritage. Donc, pour passer de l’oralité à l’écrit, c’est notre initiative. Personne ne le fera. Le colon ne le fera pas. Il est venu, il a voulu tout casser. C’est à lui que vous allez demander de tout reconstruire. Il va tout broyer.

Donc, c’est à nous de le faire et cessons de rester dans cette posture de consommateur. On vient s’asseoir, on prend la Bible, on lit, on prend le Coran, on lit. Est-ce que quelqu’un a vu Dieu descendre sur terre pour écrire ? Ce sont des hommes qui ont écrit le Coran et la Bible. Ne sommes-nous pas des hommes ? Ne sommes-nous pas les premiers hommes sur la Terre ? l’Afrique n’est-elle pas le berceau de l’humanité ? Alors, levons-nous.

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