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Bénin, une laïcité de trompe-l’oeil ?

Par Sêmèvo Bonaventure AGBON
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La laïcité de l’État inscrite dans la Constitution du 11 décembre 1990 révisée en novembre 2019 est-elle en train d’être compromise au Bénin ? Depuis l’organisation des Vodun days et l’annonce de la tenue en août prochain, du Festival International des Arts et Cultures Vodun (Fip de Porto-Novo réformé) certains béninois s’inquiètent d’une montée en force du Vodun au mépris de la laïcité, avec la bénédiction anticonstitutionnelle de l’État. Qu’est-ce que la laïcité ? Comment la vit-on au Bénin ? Le Vodun n’est-il que religion ?

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L’implication du chef de l’État, Patrice Talon dans le succès des Vodun days contrairement à son prédécesseur Boni Yayi qui «fuyait le pays à la veille du 10 janvier», selon le professeur Mahougnon Kakpo, a indisposé quelques-uns. On a vu, chose inédite, Patrice Talon s’incliner, par exemple pour recevoir la bénédiction d’un Egungun.

La vision des Vodun days consiste justement à réhabiliter le Vodun, à déconstruire les étiquettes péjoratives à son sujet, et à l’assumer sans complexe comme identité malgré l’ouverture au monde. À voir de près, les critiques malveillantes proviennent généralement de ceux qui affectionneraient plutôt un chef d’État comme Boni Yayi, plus proche des autres religions, et manquant cruellement d’équilibre élégante entre croyance personnelle et fonction présidentielle. Ou même le Général Mathieu Kérékou.

L’homme du 26 octobre 1972 avait «remplacé « Ouidah-92 », initié sous le président Nicéphore Soglo et qui devrait avoir « lieu tous les trois ans », par “Gospel et racines” quelques années plus tard ». L’objectif de ces « manèges » « est clair : il faut absolument tuer ce qui est endogène. Il s’agit de détruire le sursaut provoqué par Ouidah-92 », selon Nouréini Tidjani-Serpos, ancien sous-directeur général de l’Unesco chargé du Département Afrique (in Jogbe‚ la revue des humanités, 2018).

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La “bonne” laïcité au Bénin, dans le souhait de quelques esprits, devrait donc signifier exclusion ou asphyxie du Vodun. Le chef de l’État Patrice Talon semble avoir souffert de cette tendance, au point de se lancer dans une longue digression à la télévision pour devoir expliquer qu’il est chrétien catholique fervent, et que les Vodun days ne visent pas à promouvoir la spiritualité Vodun. Parce que, au Bénin, parler en bien du Vodun est marqué de la connotation de la promotion de l’abomination.

La posture du tout sauf le Vodun

La laïcité comprise comme neutralité de l’État en matière religieuse ou traitement équitable des différentes religions est loin d’être parfaite au Bénin. Opposés à la célébration du 10 janvier, des chrétiens vont jusqu’à ‘’purifier’’ les endroits où les festivités se tenaient. En 2016, « l’évangéliste et chantre de Dieu », par ailleurs Chevalier de l’Ordre national du mérite du Bénin, John Migan avait prêché la suppression de la fête du Vodun. Elle est, disait-il, «une grande abomination qui irrite l’Éternel ». De recommander alors aux « leaders de cette nation d’enlever de notre Constitution l’expression ‘’les mânes de nos ancêtres’’ et de consacrer la date du 10 janvier à l’Éternel Dieu plutôt qu’aux idoles… »

À l’époque, la vive protestation de Daagbo Hounon Tomadjlehoukpon II Houwamenou, chef suprême du Vodun, porta ses fruits. La Cour Constitutionnelle après analyse des propos, a, par Décision Dcc 17-018 du 31 janvier 2017, en son article 1er condamné John Migan et réaffirmé que : « (…) le Bénin est un État laïc fondé sur, non seulement, la séparation de l’État et de la religion, mais surtout, le respect mutuel et la tolérance des différentes confessions religieuses tant dans leurs pratiques que dans leurs propos ».

Malheureusement, c’est surtout dans les «pratiques» et les «propos» que la laïcité au Bénin est méprisable. En effet, cette décision symbolique n’a changé grand-chose. Le Vodun continue d’être stigmatisé très publiquement. Il suffirait, pensent ses contempteurs, qu’il disparaisse jusqu’au dernier résidu pour que le Bénin se développe comme par magie. Du Vodun, c’est l’image d’un inhibiteur de progrès que fabriquent les milieux évangélique, catholique et méthodiste à travers des productions cinématographiques, des chants, des prédications voire dans leur littérature religieuse.

L’anti-Vodun

Dans le cinéma chrétien, les fidèles du Vodun imités et fabriqués à l’écran tombent au moindre « sang de Jésus !», « feu du Saint-Esprit !». Il n’y a pas ce film évangélique dans lequel, horriblement habillés, les Vodunsi n’apparaissent toujours sous les traits de « sorciers », de malfaiteurs, de « féticheurs » que Dieu abhorre, les païens qui doivent vite se convertir sinon, ils sont promis à la « colère divine ».

En la matière, le plus emblématique est le film « Yatin ». Dans ce film assaisonné à l’hyperbole, le village éponyme apparaît sous la description d’un royaume Vodun, ce qui prend, tout au long des épisodes, la connotation de ténèbres, sorcellerie. Pasteur Philipe, bible sous le bras, sapé en tenue française, convertit des habitants, défie le roi de la localité, invoque, grâce aux effets spéciaux connus des cinéastes, le feu dans des assemblées nocturnes. Il brise des Vodun en motte de terre, détruit temples, affronte les prêtres du Vodun et ne perd jamais aucun combat.

Dans toute assemblée où son nom est prononcé, le feu céleste comme déjà aux aguets descend promptement tout consumer. Les Vodunsi, « féticheurs » sont présentés comme toujours derrière la stérilité des femmes, l’échec des jeunes aux examens, les ennuis de santé de tel ou tel… Au finish, Pasteur Philippe obtient la conversion massive de tout Yatin. Vodunsi et Hunnͻ lui remettent perles et parements sacrées qu’il brûle, il sanctifie les convertis au nom du « Dieu d’Abraham ». Ce schéma ‘’victoire chrétien/échec Vodun’’ fonde toutes productions cinématographiques évangéliques.

•Musique-tribunal

Le sous-secteur de la musique n’est pas du reste. Des chansons d’origine vodun sont reprises dans les chapelles chrétiennes avec de nouvelles paroles anti-Vodun. Ici également, le son et l’image s’étreignent dans une parfaite harmonie pour véhiculer la même stigmatisation. Ces genres de chansons sont très populaires. Quelques illustrations :

Etε wutu nyε na jo Jézu do
(Pour quel motif renoncerais-je à Jésus ?)
Akwε ma ɖo nyε si wutu
(A cause de la pauvreté ?)
Nyε na jo Jézu do bo sε Lεgba
(Irais-je vénérer Lεgba ?)
Nyε tlε jε hεn
(Même si je fais objet de dérision)
Ma na jo Jézu do na mεn ɖe
(Jamais je n’abandonnerai Jésus pour un autre).

La géomancie du golfe de Guinée, le Fâ est aussi écornée. Nous le verrons encore avec ce pan d’une chanson très connue de l’artiste Johnny Sourou, (ex ?) fidèle de l’Église du Christianisme Céleste (Ecc) fondée par l’ancien méthodiste béninois Prophète J. Biléou S. Oshoffa :

Ogbε e din a te bo sͻ yi Bokͻtͻnͻ lε xwe
(La vie que tu recherches en recourant aux services du prêtre Fa)
Ogbε e din a te bo sͻ yi Maminͻ lε xwé e lo
(La vie que tu cherches chez les dignitaires Mami)
Ye na ɖͻ ani yi xͻ kpakpa wa
(Ils te diront : apporte des canards)
Ye na ɖͻ ani i xͻ gbͻ wa
(Ils diront apporte des moutons)
A na xͻ e nε lε…bͻ ku na sͻ hu we deji
(Tu apporteras tout cela et pourtant la mort aura raison de toi)…

Ou

Jezu éé, aklaba na to tɔ wiwé (bis)
Ma ɖɔ Klisti é, aklaba na to tɔ wiwé
Ma ɖɔ Jezu éé, Jézu ni ɖé mi sɔn kƐntɔ lɔ mƐ
Ô Jésus, délivre-moi des mains des ennemis
Awhangba Jézu é, Jézu ɖé mi sɔn vodun lƐ lɔ mƐ
Jésus, délivre-moi des mains des vodun

…Ma ɖɔ Jezu éé, Jézu ni ɖé mi sɔn kƐntɔ lɔ mƐ
Awhangba Jézu é, Jézu ɖé mi sɔn vodun lƐ lɔ mƐ
…Yɛ yi wxé, ani ɖɔ n’aji tɔ cé
De retour au bercail, dis à mes géniteurs
Ye ni yi bƐ o’bo ce, azé ka cé, kpo alɔ kɛ cé, o’Fa cé kpo, vodun cé kpo dó Nɔxwé mɛ
Qu’ils ramassent mes Bo (gris-gris), ma calebasse sorcière, ma bague, mon Fâ et tous mes vodun et les rejettent dans le fleuve Nokoué
Gigonɔ Jézu éé, Jézu ɖé mi sɔn vodun lɛ lɔ mɛ
Jésus victorieux, Jésus délivre-moi des mains des vodun.

Assimiler

En 2021 un prêtre catholique martelait face à une grande assemblée : «Il y a eu souvent des péchés sociaux que nous nous sommes entendus pour commettre. Par exemple, il est dit que le Bénin est un pays du Vodùn. Cela est suffisant pour écoper de malédictions. Nous ne sommes pas un pays du Vodùn mais c’est ce qui est proclamé partout dans le monde entier. Que le Seigneur nous prenne en miséricorde, qu’il ait pitié de nous et qu’il nous délivre du pharaon qui est en train d’écraser le peuple en ce moment (…) ».

Son collègue, le Père Giono Brun Honfin décrète, lui, que le Vodun est dépassé; c’est la religion primaire par laquelle tous les peuples seraient passés avant la Révélation. Il est l’auteur de « Le Vodoun accompli… »

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Tous ces avis ont en commun d’imposer le Vodun dans la psychologie collective comme négation de bonheur, de salut. Tous les fidèles du Vodun seraient destinés sans procès à l’enfer. Cela explique l’abondance des termes inappropriés dans le discours contre le Vodun :

Le Vodunsi est communément désigné ‘’Kosinon’’, mot Fon équivalent de « païens » par opposition à « yisenon/sinsԑnon », croyants, que les chrétiens se donnent. Pour les exhorter au baptême chrétien, l’expression employée est « wa yise » ou extensiblement « wa yi Mawu se », littéralement « viens te convertir », « viens recevoir Dieu dans ta vie ».

Cette perception, que nous savons aujourd’hui fausse, constitue la pire des rémanences de la mission coloniale déguisée en civilisatrice. L’Église arrivée sur les côtes en conquérante se préoccupait d’assimiler, d’enrôler. Martine Balard résume si bien cette époque.

«Néanmoins la conviction quasi unanime des missionnaires (donc celle de la S.M.A.) exprimée dès les débuts et jusqu’aux années 1925-30, (…) est bien qu’il n’y a de civilisation qu’européenne. La dimension de l’exotisme y avait contribué en façonnant une conception sublimée et héroïque de l’apostolat en un continent « sauvage » où « les peuples sont assis dans les ténèbres à l’ombre de la mort ». Le romantisme de l’éloignement ajoute sa poésie à la conviction d’appartenir à la fois à la civilisation européenne à son apogée et à la chrétienté qui en est l’âme. Sommet de la civilisation, faîte de la puissance mondiale, siège de l’Église : telle est l’Europe que l’on quitte pour l’exaltante épopée missionnaire d’en exporter les ferments civilisateurs au fond des territoires barbares et les lumières chrétiennes au plus obscur des âmes païennes. »

*Dahomey 1930 : mission catholique et culte vodoun, Presses universitaires de Perpignan, 1998.
Le cas de Porto-Novo

Dans une réelle laïcité, une religion, qui plus est celle du terroir, devrait-elle être quotidiennement ainsi diabolisée des autres sans qu’aucune initiative de régulation ? Depuis longtemps donc, le Bénin se satisfait d’une laïcité bancale, imparfaite surtout défavorable au Vodun. L’aspiration subite de certains béninois à une laïcité ”parfaite” cache alors une flagrante hypocrisie.

La situation de Porto-Novo illustre parfaitement d’ailleurs cette laïcité de trompe-l’oeil. La capitale politique du Bénin, très diversifiée et riche en matière de tradition, de culte et d’ethnie a pour ”fête patronale”… l'”Epiphanie’’ prétendument inculturée. L’Épiphanie, célébrée le 6 janvier par les catholiques et le 19 janvier par les orthodoxes, est une commémoration religieuse en hommage à l’arrivée des rois mages à Bethléem.

«Imaginez un peu la réaction de certaines personnes si l’on décidait de placer la fête patronale de cette ville‚ capitale politique de notre pays‚ sous le signe de Gbèloko. Certains gens auraient vivement dénoncé un scandale national voire une diabolisation de la ville. Ç’aurait été terrible. À une ville fortement marquée par le Vodun‚ le christianisme et l’islam‚ on dédie -de manière arbitraire‚- une fête relevant de l’une de ces trois religions. Nous avons là un réel problème d’identité.»

Nouréini Tidjani-Serpos

Plus qu’une religion

A-t-on jamais vu un haut dignitaire du Vodun ou une faîtière pondre un communiqué inamical après les pèlerinages à Dassa-Zoumè ou à Sèmè-Podji ? Pourtant, l’Église catholique romaine par exemple s’est permis juste au lendemain des Vodun days, de mettre en garde contre une confusion entre le culturel et le cultuel. Message visé ! On aurait aimé la voir exiger d’elle-même, par respect pour la laïcité de l’État, la réduction de la kyrielle de jours fériés, chômés et payés dont elle bénéficie.

Le Vodun n’en dispose que d’un seul, à l’occasion duquel on assiste sur les réseaux sociaux à un déferlement de publications/messages hostiles.

« Je me pose la question sur la laïcité du Bénin. Oui, nous avons une laïcité juridique, une laïcité proclamée. Mais est-ce que l’Etat est à égale distance vis-à-vis de toutes les communautés religieuses au Bénin. Je n’en suis pas sûr. Je donne un exemple : regardez combien de fêtes, de jours de fêtes sont fériés pour certaines religions. Combien en avons-nous dans la communauté du Vodun que vous savez ? Or l’Etat devrait se retrouver très objectif, très neutre, à égale distance vis-à-vis de toutes les communautés. Mais pourquoi nous avons un lundi de…un mardi de …pourquoi nous avons…pourquoi, pourquoi…près de cinq à six jours fériés pour des fêtes religieuses alors que dans une autre on n’a qu’un seul ? Il y a lieu de se poser la question de voir si la laïcité juridique et constitutionnelle proclamée rencontre la laïcité sociale. »

Professeur Dodji Amouzouvi, membre du comité des rites Vodun

Dans le Bénin laïc, le seul aéroport international porte le nom d’une Eminence théologiquement marquée, et pas celui de Sossa Guèdèhounguè. Les rues et avenues portent les noms de Saints que tous les béninois n’ont pas en partage. Un prélat assura le rôle sensible du président du présidium de la conférence nationale de 1990.

La promotion du Vodun est-elle antinomique de la laïcité ? Le Vodun, très souvent on le réduit à une religion parce que ce raccourci arrange. Mais le Vodun, avant d’être une religion, a généré un art, art plastique, une philosophie, un mode vestimentaire, un art culinaire, etc.

Ce sont ces aspects-là que le gouvernement s’est investi à développer dans le cadre de la promotion du Bénin comme destination touristique phare.

En somme, gardons-nous de nous offusquer lorsqu’une action politique positive touche à telle ou telle religion. Dans toutes les différentes religions au Bénin, se trouvent nos frères et sœurs, nos parents, des amis. Soyons heureux pour eux et avec eux même si nous ne professons pas forcément la même foi. Accordons-les le droit de la différence, qui est aussi une richesse. Tel doit être le sens de la laïcité dans un État-nation.

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