Home Actualité Diabolisation, stigmatisation et insultes : La Communauté Vodun du Bénin hausse le ton

Diabolisation, stigmatisation et insultes : La Communauté Vodun du Bénin hausse le ton

Par Sêmèvo Bonaventure AGBON
1 Commentaire

Au Bénin, il est difficile d’afficher son identité vodun sans entendre « Donne ta vie à Jésus », une injonction à renier ce culte étiqueté comme religion du Mal, refuge du diable. Pour la première fois, la Communauté Vodun du Bénin dénonce collectivement et publiquement cette stigmatisation ainsi que «les propos hérétiques et sacrilèges» tenus par «certains membres indélicats et imprudents» des clergés d’autres religions.

Dimanche 22 juin 2025. Le Palais des Congrès de Cotonou est inhabituellement animé. Élégamment vêtus de blan et, de perles, des fidèles et dignitaires du Vodun venus des quatre coins du Bénin se sont réunis. Objectif : dire stop aux « propos hérétiques et sacrilèges » tenus par « certains membres indélicats et imprudents des différents Clergés des religions importées ». Plus rien ne sera comme avant, prévient la déclaration ferme et solennelle saluée par des cris, des chants et des tambours.

Réseaux sociaux, émissions de télé ou simples discussions de rue : la diabolisation et le refus d’acceptation du Vodun sont devenus banales. La diabolisation du Vodun fait plus mal lorsqu’elle vient des figures ecclésiastiques de premier plan d’autres religions. Un prêtre catholique affirmait sur TikTok que « les Hoxo ne sont jamais Vodun ». Ces êtres étant considérés comme sacrés dans la tradition Vodun. Un pasteur évangélique parle de sacrifices humains dans le Vodun, pendant qu’un autre prédicateur, en arabe, jure que « pratiquer le Vodun, c’est aller droit en enfer ».

Des discours frontalement hostiles, qui trouvent écho jusque dans les colonnes du journal La Croix du Bénin, dénonce la Communauté Vodun du Bénin dans sa déclaration. Dans la parution n°1815 du 6 juin 2025, dudit journal, un prêtre qualifie le Vodun de « tradition religieuse idolâtrique multiséculaire », lit-on dans la déclaration.

Pour la première fois, la réponse à ces propos et images est collective, publique et ferme. « Nous, Vodunnon, ne passons jamais notre temps à diaboliser les autres religions. Il est temps que chacun se contente de sa foi », tonne Dah Aké Oundjèglo, roi des jumeaux, qui a assuré la traduction en fongbé de la déclaration.

Un vieux réflexe colonial

La diabolisation du Vodun, en réalité, ne tombe pas du ciel. Elle s’inscrit dans un long héritage. Celui des premiers missionnaires et ethnologues européens venus au XIXe siècle, avec pour projet de « convertir » et « civiliser ». Ces derniers ont apposé au Vodun une grille de lecture étrangère, souvent péjorative : animisme, fétichisme, idoles, sorcellerie, polythéisme. Une vision toujours bien vivante dans l’esprit de certains religieux contemporains, comme le déplore la Communauté Vodun du Bénin.

Pour eux, ces termes relèvent d’un mépris colonial, d’un regard biaisé, qui perdure sous couvert de discours théologiques. Le même mépris colonial, ils le reprochent à «la politique d’inculturation» menée par certaines Églises. C’est surtout le discours qui le porte, qui le justifie qui fâche les Vodunnon. L’ironie, pour les fidèles du Vodun, c’est que les mêmes symboles qu’on dénigre dans le Vodun sont de plus en plus récupérés dans les églises, sans reconnaissance ni respect.

«Ils disent qu’ils veulent positiver le Vodun. Mais une religion peut-elle juger une autre à l’aune de son Livre Saint à elle ? C’est compréhensible que cela gêne les dignitaires », analyse un sociologue rencontré sur place. « Il semble qu’au Bénin, sans insulter le Vodun, certains prêtres et pasteursn’auraient rien à dire », regrette encore Dah Aké Oundjèglo.

Un nouveau cap

Le ton monte certes, mais la posture reste pacifique. Le Vodun ne déclare pas la guerre. Il appelle au respect. Et entend faire respecter sa dignité. Cette levée de boucliers intervient alors même que l’État béninois valorise de plus en plus le Vodun, à travers le tourisme, la diplomatie culturelle, des infrastructures muséales. Le Vodun devient vitrine du pays à l’extérieur. Pourtant, dans les cœurs et sur les claviers, il reste objet de suspicion.

Dans son texte, la Communauté Vodun rappelle : l’accueil fraternel réservé aux premiers missionnaires par les peuples du Danxomè ; la collaboration trouble entre missions évangéliques et entreprises coloniales ; l’existence d’un dialogue interreligieux possible, fondé sur des valeurs communes de paix et de fraternité.

Cependant, elle se veut claire : Désormais, tout acte de mépris public envers le Vodun fera l’objet d’une réponse officielle : communiqué, mise en garde ou action légale. Autrement, le pacifisme ne signifie plus l’oubli de soi. Si le Vodun est une spiritualité de paix, il n’est pas une foi sans mémoire.

« Il est du devoir de la Communauté Vodun du Bénin de rétablir l’image vilipendée de l’authentique Religion multimillénaire et humaniste de nos Ancêtres ; de promouvoir ses Valeurs Universelles dans un monde en proie au fanatisme… », conclut la déclaration.

Un tournant vient ainsi d’être amorcé. Le Vodun, longtemps silencieux face aux stigmatisations, semble désormais décidé à s’imposer dans le débat public, à défendre sa place dans l’espace national. Cette parole libérée ouvrira-t-elle enfin un chemin vers un dialogue interreligieux plus équitable et sincère, ou marquera-t-elle le début d’une radicalisation des postures ?

LIRE AUSSI

Lire aussi

1 Commentaire

Mitonnou yemanlin Noël juin 24, 2025 - 12:59 pm

Merci beaucoup

Repondre

Laisser un commentaire

A propos de nous

Bénin Intelligent, média au service d’une Afrique unie et rayonnante. Nous mettons la lumière sur les succès, défis et opportunités du continent.

À la une

Les plus lus

Newsletter

Abonnez-vous à notre newsletter pour être notifié de nos nouveaux articles. Restons informés!