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Discours de Wadagni : Analyse rhétorique et sociopolitique

Par Sêmèvo Bonaventure AGBON
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Citant Michel Foucault – « Le discours n’est pas simplement ce qui traduit les luttes ou les systèmes de domination, mais ce pour quoi, par quoi on lutte, le pouvoir dont on cherche à s’emparer », 1971], Allochemè O. (2025) déduit que l’analyse du discours permet de décrypter les sous-entendus, les implicites et les non-dits qui traversent les discours/débats. Adhérant pleinement à cette conception, je m’intéresse ici à trois aspects majeurs du discours d’investiture du candidat Romuald Wadagni en présence de sa colistière, Mme Talata. Je m’emploierai à les illustrer à travers comptage lexical, analyse rhétorique et symbolique.

Un storytelling émouvant, mais calculé

C’est sans doute le moment le plus attendu. Sous les applaudissements, cris de joie et résonnement de tambour, Wadagni avance et se tient debout devant le pupitre. Après les salutations d’usage, il accroche le public dès le deuxième paragraphe par un récit désarmant : celui de son enfance à Parakou. Il évoque le quartier Lajifarani, la route cahoteuse qu’il empruntait avec son père, Nestor Wadagni, décédé le 3 septembre 2021. Le candidat confie l’émotion ressentie en refaisant, sans son père, le même trajet pour son investiture.

« En m’adressant à vous en cette circonstance si solennelle, je suis habité par une double émotion. Celle, bien entendu liée à la présente cérémonie si importante pour notre pays et pour sa démocratie, ainsi que pour le récipiendaire que je suis. Mais aussi, mon émotion revêt un caractère d’autant plus particulier que nous sommes ici à Parakou où, enfant, j’accompagnais mon père, alors directeur départemental du Plan du Borgou.
Les routes étaient longues, très souvent en mauvais état, parfois impraticables. A bord d’un véhicule communément appelé 404 bâchée, qu’il fallait bien souvent pousser pour la faire démarrer, nous devions changer une roue à presque chaque trajet. Vous l’avez compris, j’étais bien souvent le compagnon de route de mon père et vous devinez donc ma grande émotion ce matin, en parcourant seul cette route pour venir ici, dans cette ville qui m’a également vu grandir. Je salue au passage mes camarades de cette époque et surtout les membres de notre petite équipe de football du quartier Ladjifarani. »

Romuald Wadagni

Par cette stratégie rhétorique le candidat humanise son image par la narration d’enfance et l’évocation du père disparu. Il cherche aussi à se détacher de l’étiquette d’élite technocrate coupée du peuple. L’image que l’opinion lui prête est, en effet, celle d’un technocrate né avec une cuillère en or, formé à l’étranger. Autrement, un « enfant du système » coupé du réel. En convoquant ses souvenirs d’enfance, il dit implicitement qu’il n’est pas différent du béninois, qu’il a vécu aussi la misère et peut donc gouverner pour le béninois lambda. Cela le rend vraiment Béninois.

La figure de l’orphelin Wadagni crée une identification affective et déjoue donc la distance sociale. Par ailleurs, ce passage s’inscrit dans une rhétorique de l’humilité, laquelle prépare le terrain à la légitimation du leadership. Derrière ce qu’il a dit devant cette foule hystérique, on devrait entendre : « j’ai connu les routes difficiles, donc je comprends vos difficultés. Je vais gouverner en y tenant compte ».

En saluant ses amis d’enfance avec qui il jouait au football, il cherche aussi à se défaire de cette étiquette « C’est un sudiste » ou « c’est un Adja ».Il veut montrer qu’il est aussi du Nord, donc un candidat à travers lequel tous les Béninois, du Nord au Sud, devraient se retrouver.

Mais au-delà de l’émotion, est-ce la promesse d’une gouvernance plus sociale que celle de son futur prédécesseur ?

Une révérence obsédante à Patrice Talon

Le discours de Wadagni, version orale que j’ai transcrite mesure 1555 mots. Sur ce total, la référence à Patrice Talon traverse sept paragraphes, soit 467 mots. On y note une centralité discursive sur Patrice Talon avec deux éléments itératifs : d’abord le mot ‘’transformation’’ parfois adjectivé ; et, ensuite, la référence temporelle aux neuf ou dix dernières années de gestion de Talon. Comme en témoignent les extraits suivants :

  • – « Au-delà de l’émotion, en faisant la route aujourd’hui, en voyant la cité des Koubouru transformée… »
  • – « Ces dix dernières années, à la suite de l’œuvre des pères fondateurs et des différents chefs d’État qui se sont succédés de 1960 à 2016… »
  • – « A celui qui a enfin su poser la vision et les bases du développement et de la transformation profonde du Bénin : Son Excellence le Président Patrice Talon.
  • – « vous avez transformé notre pays avec courage et détermination.
  • – « Depuis près de dix ans, notre pays a connu des transformations profondes… »


Ces extraits montrent l’honnêteté, la gratitude et la reconnaissance d’un ‘’serviteur’’ envers son maitre, celui qui l’a révélé, celui qui l’a fait ‘’super ministre’’ puis maintenant dauphin. Fièrement donc il assume le bilan du gouvernement auquel il appartient et dont il doit porter et défendre les acquis ; voire corriger (pourquoi pas) les faiblesses, si le peuple le plébiscite en janvier 2026.

« Je vous exprime ici ma profonde reconnaissance et mon total respect. Je fais la promesse d’être digne de cette confiance. Je vous prie, Monsieur le Président, de demeurer un guide et un phare pour nous tous qui prendrons la relève »

Cette phrase est puissante et donne même l’impression qu’il voyait Patrice Talon présent dans la foule. Les traits qu’il lui attribue sont ceux d’un homme de « courage », de « détermination », de « vision », un « leader » exemplaire.

Assumer cette gouvernance, c’est là aussi le sens du pronom « nous » auquel il recourt dans la suite : « Nous avons consolidé notre démocratie, renforcé nos institutions, nos finances publiques sont assainies, notre économie affiche une croissance qui place notre pays dans les plus performants en Afrique. Mais nous sommes conscients que le chemin vers notre idéal reste long. »

Toutefois, cette référence, cette révérence (presque) obsédante à la gouvernance Talon, cette loyauté appuyée comporte un risque : celui de l’effacement. Devoir de reconnaissance indiscutable. Ue pâle copie de Talon et de sa gouvernance ne serait pas l’aspiration des citoyens. Beaucoup de Béninois souhaitent une continuité sans copie conforme. Une gouvernance nouvelle, moins austère.
Wadagni devra donc affirmer sa propre marque dans la fidélité.

En réalité, le discours de Romuald Wadagni reflète la tension entre reconnaissance sincère et dépendance symbolique du dauphin vis-à-vis du mentor.

La jeunesse au cœur du discours

Enfin, la part du lion est revenue à la jeunesse. Pour preuve : les mots ‘’jeunesse’’ et ‘’jeunes’’ ont été prononcés 16 fois. En numérologie, 1+6 =7. Wadagni recherche la connexion profonde, la symbiose avec les jeunes, mais surtout leur éclosion intellectuelle et créative.

Il a clairement dit son admiration pour les jeunes de « nos écoles, dans nos universités », les « jeunes créateurs, artistes, entrepreneur », ou encore « ces jeunes qui innovent tous les jours, que ce soit dans l’agriculture, dans la culture, dans le numérique ».

L’emploi du pronom démonstratif ‘’ces’’ renforce cette ligne. D’ailleurs, ces jeunes, il les avait ‘’déçus’’ en justifiant, avec un brin d’humour mal accueilli, la cherté de la connexion internet par les critiques adressées contre le Gouvernement.

En consacrant 273 mots sur un total de 1555 que fait son discours, à cette catégorie majoritaire de la population béninoise, Wadagni cherche non seulement leurs suffrages – « Un Béninois sur deux a moins de 18 ans », disait-il d’entrée, soit l’âge pour voter – mais sollicite subtilement leur indulgence, certainement en pensant à l’épisode malheureux ayant accouché la campagne connue sous le hashtag #TaxePasMesMo. Faut-il s’attendre bientôt à une réparation symbolique ?

La jeunesse, dans le discours de Wadagni, semble fonctionner comme un miroir rhétorique : il s’y projette pour apparaître à la fois jeune, moderne et rassembleur, tout le contraire du “technocrate froid”.

L’amour de Wadagni pour les jeunes se traduit par le recours l’anaphore suivante :

« Jeunes du Bénin, ayez confiance
Jeunes du Bénin, ayez confiance (…)
Je pense aux étudiants qui rêvent de rester chez eux et de réussir chez eux.
Je pense à ces jeunes qui veulent participer pleinement à la transformation de notre pays.
La jeunesse est notre richesse, elle est notre force, elle est notre avenir.
La jeunesse est notre richesse, elle est notre force, elle est notre avenir. »

Cette anaphore agit en outre comme un refrain. Elle rythme le discours, donne de l’élan et cherche à ranimer la foi des jeunes en leur pays.
« J’ai presque envie de rentrer dans la fosse pour m’adresser à la jeunesse » : sur le plan visuel, le sourire qu’il a esquissé en annonçant la cible de la jeunesse, pourrait être révélateur de la conscience qu’il a que ceux-ci lui ont gardé dent à propos de ce bras de fer autour de la connexion internet. Cette transition paraît d’ailleurs.

Entre émotion, loyauté et stratégie, Wadagni se présente déjà comme un héritier conscient de sa mission. A Parakou, il a parlé au cœur avant de parler au vote. Sous son discours couve une tension entre le « je » et « nous » : comment intégrer son destin individuel à celui du collectif gouvernemental — en continuant la légitimité du pouvoir Talon MAIS sous une nouvelle forme. Car c’est bien un argument électoral de moindre coût qu’exploitera l’opposition dont le casting est fortement scruté.

Par Sêmèvo Bonaventure AGBON, journaliste et auditeur en Master communication et Relations publiques (UAC)

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1 Commentaire

Raoul O HINVI octobre 5, 2025 - 9:13 pm

Une réflexion à caractère scientifique que je salue.

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