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Père Rodrigue Gbédjinou : «L’éducation de nos jeunes devient un sujet de rentabilité financière»

Par Sêmèvo Bonaventure AGBON
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Rodrigue Gbédjinou est prêtre catholique et écrivain. Dans la 2e édition de son ouvrage épistolaire « Jeunes, Osez ! », il réarme les jeunes face aux défis colossaux de développement en Afrique. La jeunesse est un sujet transversal et constant dans son écriture et même son sacerdoce. Selon lui, en effet, « la jeunesse représente un maillon déterminant pour le présent et l’avenir de la société comme de l’Eglise ». Coups d’Etat, Alliance des Etats du Sahel, panafricanisme, cultures africaines, retour aux sources, géopolitique, il aborde tout.

Propos recueillis par Dignité Sessi LOKO (Stg.) et Béni AGBAYAHOUN

Bénin Intelligent : Pourquoi avoir ressenti le besoin de rééditer cet ouvrage ? et quelles sont les nouveautés qu’il renferme par rapport à la parution originelle ?

Père Rodrigue Gbédjinou : L’ouvrage a été réédité d’abord parce que le stock est épuisé et il y a diverses demandes. Mais au-delà des demandes, c’est la volonté de mettre l’ouvrage à disposition des jeunes qui ne l’avaient pas. Cette édition a connu des ajouts, des corrections. Et surtout, il y a de nouveaux éléments liés à l’actualité qui ont été intégrés. La première édition date de 2018 et entre 2018 et 2024, il y a eu pour 6 années d’actualités au cœur desquelles il y a eu des jeunes.*

Par exemple à la page 18 j’ai évoqué les coups d’Etat en Afrique portés par des jeunes. Aussi et surtout l’évènement 2024 au Sénégal que j’ai évoqué comme un évènement de grande espérance, ce que j’appelle l’effet Diomaye Faye et Sonko relativement jeunes. Donc il y a eu l’intégration de ces nouveaux éléments et des réflexions à partir de ces nouveaux éléments pour booster la jeunesse.

Aux pages 18-19, vous citez des ‘‘modèles’’ de jeunes parmi lesquels vous « stigmatisez » les cas burkinabè, malien et guinéen. Ne craignez-vous pas d’apparaître comme pourfendeur de la remise en cause de la Françafrique qui pille le continent sous les prétextes des droits de l’Homme et de la démocratie ?

Il n’y a pas eu stigmatisation. Il y a d’abord eu un état des lieux, une présentation des faits. J’ai montré comment des jeunes s’engagent ailleurs et j’ai pris l’axe politique qui intéresse beaucoup les jeunes. Comment dans d’autres pays, les jeunes, par les urnes, parviennent au sommet de l’Etat. Alors que dans le même temps, il y a des jeunes en Afrique qui cherchent à s’emparer du pouvoir par la force des armes.

Par exemple à la page 19, je dis « alors que les exemples des jeunes évoqués en Europe se sont imposés par les urnes, ceux de l’Afrique se sont imposés par les armes, révélant d’une certaine manière, l’Etat d’esprit de la jeunesse africaine ». Et en lien à cela, j’ai évoqué l’évènement Diomaye Faye et Sonko, qui sont passés par les urnes, et c’est ça que j’appelle ”évènement de grande espérance” pour les jeunes.

 J’ai aussi évoqué comment c’est pathétique de voir les jeunes descendre dans la rue pour acclamer des coups d’Etat. Par principe, les coups d’Etat sont de très mauvaises choses que ce soit institutionnel, militaire. Parce que ça met en danger la stabilité de l’État. Or, on a besoin d’un État stable pour la prospérité des affaires.

Je ne suis pas du tout un pourfendeur de la remise en cause du système de la Françafrique, que j’ai d’ailleurs stigmatisé dans le livre au chapitre 3 intitulé « ose assumer ton identité ». J’ai évoqué cette question de la Françafrique en citant par exemple des auteurs comme Verschave qui ont écrit là-dessus et j’ai évoqué le mépris comme une donnée fondamentale des relations entre l’Europe et l’Afrique.

Dans mon livre « Le changement : Idéologique ou réalité » paru en 2008 j’ai aussi évoqué ce mépris dans les relations entre la France et l’Afrique. D’ailleurs quelque chose me gêne dans la terminologie : la France est un pays, l’Afrique est un continent. Donc il y a déjà un déséquilibre dans les termes.

J’évoquais tout à l’heure le livre de François-Xavier Verschave et de P. Hauser, « Au mépris des peuples, Le néocolonialisme franco-africain ». Donc je ne suis pas du tout un pourfendeur de la remise en cause du système de la Françafrique.

Mais pour moi, je ne réduis pas tout le mal africain à ce système. D’ailleurs ce système que j’appelle mépris, a été intériorisé par les africains eux-mêmes. Parce que si nous réduisons le mal africain au système de la Françafrique, nous tombons dans une logique de victimisation de notre côté, et de culpabilisation de l’Occident.

Les choses qui détruisent la vie de l’Afrique sont quelquefois internes à l’Afrique. C’est vrai qu’il y a un mal dans les relations. Et il faut que nous ayons le courage comme africains et avec les nouveaux éléments panafricanistes, d’interroger les pesanteurs endogènes de notre sous-développement.

Il y a les forces exogènes : la Françafrique et autres. Mais si ces forces exogènes, en dehors de la supériorité technique, arrivent à s’infiltrer chez nous, c’est parce qu’il y a des failles. Donc, moi je dénonce le panafricanisme qui se traduit simplement comme ostracisation, c’est-à-dire rejet de tout ce qui vient de l’autre.

Aujourd’hui le monde est dans l’interculturalité. L’Afrique d’hier ne peut plus jamais revenir. Plusieurs panafricanistes évoquent qu’il faut retourner à nos cultures pour se développer, pour moi c’est du leurre. L’Afrique du passé ne peut plus revenir.

Il s’agit de tenir compte des éléments d’aujourd’hui, sans renier notre passé bien sûr pour acter notre avenir. Moi je dénonce le panafricanisme qui se réduit donc à un retour à une Afrique du passé qui n’existe plus et n’existera plus jamais.

Par ailleurs, je ne trouve pas assez cohérent par rapport au panafricanisme, de quitter un maître pour un nouveau maître. Tous les maîtres sont pratiquement les mêmes. C’est peut-être le degré de férocité et de félonie qui peut être d’un côté brutal et de l’autre côté subtil. Mais ils sont les mêmes.

On ne développe pas un peuple comme le disait Ki Zerbo, mais un peuple se développe et donc nous devons en prendre conscience. Aujourd’hui il y a beaucoup de mouvements panafricanistes et nous voyons aussi ces jeunes qui prennent le pouvoir. Et il y a eu certaines effervescences. Exemples de la Guinée, du Mali, du Burkina Faso. Est-ce que ces mouvements vont réussir ? C’est mon souhait comme africain et comme panafricaniste.

Mais je note que ces mouvements portés par le rejet de l’occident, nous les avons déjà connus dans les années 70. Ces militaires au pouvoir nous les avons connus avec ce qu’on a appelé l’Afrique des colonels. Mais qu’est-ce que cela a donné ?

Si ces mouvements avaient persisté, les pays africains ne seraient-ils pas mieux développés ?

Mais qu’est ce qui a stoppé la révolution ? Ce n’est pas la démocratie, c’est la révolution elle-même qui s’est stoppée par nos pesanteurs.

Parlant de ces jeunes qui prennent le pouvoir par la force. Quand vous évoquez le cas du Sénégal, n’est-ce pas un cas isolé par rapport aux autres pays ? Notamment avec l’implication des puissances étrangères comme la France ?

La France est restée pendant deux mois, sans gouvernement, ils ont connu des problèmes, ils n’ont jamais appelé l’Afrique ou l’Allemagne à venir à leur secours. Ils ont cherché dans leurs textes, dans leur pays, les éléments nécessaires pour les aider à aller de l’avant. La politique est assez complexe et une politique désormais en autarcie ne peut plus exister. La politique, c’est aussi un jeu de force.

Mais si le peuple en question se réveille, il peut trouver en lui-même les ressorts et les leviers de son avenir et de son développement. Quand nous prenons le cas isolé du Sénégal, certainement il y a eu des pressions extérieures et pourtant ce peuple est resté debout.

Ce que j’évoque dans le fait Diomaye et Sonko, c’est la stratégie. C’est une vision de jeunes qui dit « ce n’est pas forcément moi ». Nous voulons changer un système par un nouveau système. Est-ce qu’ils vont y arriver ? Nous allons voir. Mais si je le ramène à notre cas du Bénin – moi ou personne -, si Sonko avait dit cela, le camp présidentiel [Sall] serait encore là. L’Etat a une certaine violence partout. Et c’est très difficile à la rue de faire plier l’Etat. Même si on y arrive quelquefois.

J’appelle à l’éveil de la jeunesse. Pourquoi ? Parce que la population de 0 à 35 ans, il semble que c’est près de 70. Mais comment 30  peuvent dicter leur loi à 70% ? J’ai parlé tout à l’heure des jeunes qui acclament les coups d’Etat. C’est un phénomène assez triste parce que tout le monde est convaincu que les coups d’Etat sont mauvais. Même la constitution malienne l’a inscrit comme un crime imprescriptible. Mais après être venu au pouvoir par un coup d’Etat !

N’est-ce pas ce besoin de changer les choses qui les a poussés à faire recours aux armes, en raison de leur incapacité face aux coups d’Etat institutionnels ?

Vous savez le moindre mal n’est jamais un bien. Parce que si eux-mêmes sentent la nécessité d’inscrire que le coup d’Etat devient un crime poursuivi, c’est qu’ils sont conscients que c’est dangereux. Aussi, tout cela n’a plus de force chez nous car il suffit qu’un autre vienne et balaie cette constitution et il réécrit une autre. Un Etat pour aller de l’avant a besoin de stabilité et il faut que les jeunes en soient convaincus. Parce que ce sont eux qui en paieront les frais.

Alors, il faut que les jeunes soient exigeants en matière politique. Qu’ils ne s’offrent pas simplement comme chairs à canon ou comme des êtres manipulables. Parce que c’est eux qu’on envoie. Qu’ils sachent que c’est leur avenir qui est en jeu. Et c’est l’avenir de notre continent qui est en jeu.

Même l’allégeance à des pays étrangers, nous avons fait allégeance à l’Urss. La Russie d’aujourd’hui peut-être n’est pas l’Urss d’hier. Qu’importe ? Moi j’analyse les faits. Nous avons évoqué le discours de l’authenticité avec les Mobutu, avec les Eyadéma, nous devons être nous-mêmes. Ça a donné quoi ?

Peut-être que les temps ont changé. Peut-être qu’il y a les moyens de communication, les réseaux sociaux avec une certaine démocratisation de l’information. Ce qui peut créer une nouvelle dynamique. Je ne suis pas sceptique, mais, je ne suis pas très sûr.

Je pense que la stabilité est capitale et qu’on doit proscrire tous les coups d’Etat, quels qu’ils soient. Pour moi par exemple, quand c’est écrit que le mandat n’est renouvelable qu’une seule fois, dans la tête de tout jeune, qu’il soit opposant ou de la mouvance, quel que soit ce que la personne a pu réaliser, après deux mandats, vous ne lui donnez pas votre confiance. Les jeunes doivent-être assez fermes là-dessus.

Parce que ce sont ces situations qui créent des germes de déstabilisation. La jeunesse est déterminée par des valeurs de justice, des valeurs d’authenticité. Le jeune normalement c’est un cœur pur qui ne doit pas être dans les coups-bas, dans les ruses, dans le mensonge. (Téléchargez l’intégralité de l’entretien ci-dessous)

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