Au Bénin, des dignitaires du Vodun montent au créneau après les propos jugés offensants du Père Gaston Aïtondji. Ils appellent à l’intervention des autorités pour garantir le respect des croyances. Cette énième interpellation intervient après une vidéo diffusée sur la page TikTok « Imprimerie Notre Dame Cotonou », dans laquelle le Père Gaston Aïtondji, de l’archidiocèse de Cotonou, affirme notamment que « les Hoxo ne sont jamais Vodun », que « traiter quelqu’un de Vodun, c’est l’injurier », ou encore que « le Vodun n’est pas notre culture».
«Aujourd’hui un prêtre se lève pour affirmer que Hoxo n’est pas Vodun. Qui lui a raconté cela ? son père ? ou son grand père ? S’il ne connaît pas l’histoire qu’il aille écouter les anciens de sa famille.» Face au micro de nos confrères de Vodoun Tv Bénin, Bokonon Amanmanbou peine à dissimuler son indignation.
Pour le président communal de la Communauté nationale des cultes Vodun du Bénin (Cncvb-Racine), section Ouidah, les propos du prêtre ne traduiraient qu’une inculture et une manipulation.
Une lecture controversée des Hoxo
Dans la religion du Vodun, les Hoxo sont des vodun qui bénéficient d’une attention particulière. À l’opposé, le Père Gaston Aïtondji déclare, dans la séquence litigieuse, que «Les Hoxo ne sont pas des Vodun… À la maison, c’est lorsqu’un enfant se comporte mal qu’on dit «ta naissance est-elle un don du Vodun ?” ou ”regarde-moi ce vodun.” Lorsqu’on traite quelqu’un de Vodun, on l’injurie » (traduction littérale).
Le professeur Dodji Amouzouvi, spécialiste des religions, membre du Comité des rites Vodun et pontif du Vodun Sakpata, y voit l’instrumentalisation d’une expression culturelle sortie de son contexte. En effet, corrige-t-il, les formules fongbé auxquelles le Père Gaston Aïtondji faisait référence sont chargées de sens spirituel et moral. Elles s’emploient lorsque l’attitude d’un enfant amène le parent à se demander : « Et si cet enfant était venu au monde en réponse à un vœu que j’aurais fait à un Vodun, aurais-je alors manqué à ma parole, si bien que ce Vodun revienne hanter l’enfant pour me rappeler ma promesse ? »
Par conséquent, cette expression est une parole de mémoire, de responsabilité, et non une incantation de malédiction ou d’injure. En effet, doit-il,
«Le gbessoun est un fondement essentiel de la morale du Vodun. (…) L’injure n’est pas de l’ordre de l’éthique : elle appartient au domaine du négatif. Donc si cet enfant vient du Vodun, pour avoir fait de mauvaises choses, son Dieu qui a permis sa naissance est aussi vodun. (…) Pourquoi ce prêtre choisit-il de citer l’enfant qui fait des bêtises et non ceux qui se comportent bien ? » interroge-t-il.
Une représentation stéréotypée du Vodun comme vidé de toute essence divine
Plus loin dans la vidéo, le prêtre affirme : «C’est la bouche qui fait le Vodun. C’est pourquoi tous ceux qui disent que le Vodun c’est notre culture, le Vodun c’est notre culture, ce n’est pas ce que nous aurions construit de notre bouche.»
Le Père Gaston Aïtondji soutient donc que ce sont les paroles de l’homme qui fabriquent/instituent/consacrent le Vodun. Il illustre d’ailleurs son propos par des cas de « rétractation » : des Vodunnon ou Vodunsi convertis qui « poseraient le pied sur le Vodun et le révoqueraient par la parole.
Cette opinion du prêtre, réplique Dodji Amouzouvi, nie une vérité pourtant partagée par toutes les traditions religieuses : la force du Verbe comme puissance de consécration. Dans toute religion, y compris dans le catholicisme romain, c’est la parole qui consacre : c’est elle qui ”active”, ”institue”, valide” et ”transmet” la divinité.
«Le verbe par lequel on révoque ou renvoie un vodun c’est par le même verbe que le Dieu Trinité est : «Au commencement était la Parole … » (Jean 1 : 1-3)», objecte Dodji Amouzouvi au Père Gaston Aïtondji. «C’est par le verbe prononcé par le prêtre que le vin et le pain deviennent sang et corps du Christ qui sauve», ajoute-t-il.
De même que des Vodunnon peuvent renoncer à leur foi d’origine pour embrasser le catholicisme ou autres, il arrive aussi que des fidèles de l’Église catholique ou non choisissent librement de revenir au Vodun ou à toute autre spiritualité. Pour les chefs Vodun, le Père Aïtondji semble nier cette dynamique spirituelle dans un pays qui se veut pluraliste. Il semble tourner en dérision dans le Vodun, ce qu’il pratique lui-même dans sa foi chrétienne : la sanctification par la parole, l’invocation créatrice, relève Dodji Amouzouvi.
Une résurgence de la rhétorique des premiers missionnaires catholiques et autres aventuriers européens qui ont diabolisé le Vodun pour mieux imposer le catholicisme romain ? Pour Dodji Amouzouvi, cette manière de parler du Père Gaston Aïtondji rappelle un vieux schéma colonial.
Appel à l’arbitrage de l’État
Dans un contexte multiconfessionnel, les dignitaires du Vodun appellent à l’apaisement, au respect mutuel mais surtout à un encadrement institutionnel. Bokonon Amanmanbou s’adresse ainsi aux autorités :
« J’invite le professeur Kakpo Mahougnon et le président de la République, Son excellence Patrice Talon qu’ils se prononcent sur ce sujet. Je souhaite vivement aussi qu’on invite ce prêtre, qu’il nous donne sa source à nous les Hounnon. Parce que ces tentatives de manipuler l’opinion, de semer des troubles, ce n’est pas bien. Ce qui m’attriste le plus, c’est que ce prêtre n’est pas un étranger, il parle notre langue Fon. Il a clairement méconnu le panégyrique des Hoxo. (…)»
Et de rappeler que « Le Vodun donne aussi naissance à des prêtres. Un enfant de Vodunnon peut choisir de devenir chrétien voire prêtre catholique. Mais il ne devrait pas revenir diaboliser la source dont il est issu. (…) Qu’un prêtre tienne un tel discours, cela va à l’encontre de la dynamique de réhabilitation du Vodun entamée par le gouvernement, notamment à travers les Vodun Days. »
« Que chacun s’occupe de sa foi »
Dah Aké Oundjèglo, roi des jumeaux, réagit également avec fermeté : «Les Hoxo constituent un mystère autant que la conception de Jésus par l’œuvre du Saint Esprit. L’évangélisation manipulatrice a poussé des Béninois à brûler leurs représentations de Hoxo, et aujourd’hui, ils en souffrent. Pourtant, l’Église catholique regorge d’icônes/images/ représentations dont aucune n’est tombée du ciel, toutes ont été fabriquées par une main humaine avant d’être consacrées. (…)»
Il conclut « Que chacun s’occupe de sa foi. Nous, Vodunnon, avons été éduqués à ne pas insulter l’autre.»
Ces dernières années, plusieurs «initiatives d’inculturation» de l’Église Catholique (dans la suite de la déclaration conciliaire Nostra aetate) ont suscité la condamnation des dignitaires du Vodun qui dénoncent une provocation, un pillage du patrimoine cultuel.