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Abdou Moumouni OUEDRAOGO: « Le Burkina Faso demeure un pays vivable »

Abdou Moumouni OUEDRAOGO: « Le Burkina Faso demeure un pays vivable »

Par Arnauld KASSOUIN
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Le Droit International Humanitaire est-il applicable aux conflits à configuration terroriste ? Au Burkina Faso, le pays serait-il en feu et à cendre comme le font croire les médias ? Qu’en est-il des exactions et des violations graves sur les personnes civiles ? Sans langue de bois, Abdou Moumouni OUEDRAOGO, Secrétaire Permanent du Comité Interministériel des Droits Humains et du Droit International Humanitaire (DIH) du Burkina Faso apporte des clarifications à ces questionnements dans cet entretien.

Bénin Intelligent : Quelle est la principale divergence que vous constatez aujourd’hui entre la vision populaire du DIH et son application effective en situation de conflit ?

Abdou Moumouni OUEDRAOGO : Le Burkina Faso a une tradition assez vieille de mise en œuvre du Droit International Humanitaire. En plus, qui parle de mise en œuvre du Droit International Humanitaire, parle de sa diffusion au sein des forces armées nationales mais également au sein des autres couches socioprofessionnelles. De ce fait, il y a quand même une perception plus ou moins positive du DIH au niveau populaire. Parce que les gens savent déjà de quoi on parle quand on évoque le Droit International Humanitaire. Toutefois, ce n’est vraiment pas dans une large diffusion populaire. Tout simplement parce que le DIH constitue une spécialité. Il n’est donc pas un domaine accessible à la grande masse. Cependant, je peux dire que les différentes structures concernées par sa diffusion savent de quoi il s’agit.

L’applicabilité des dispositions normatives des Conventions de Genève de 1949 et des protocoles additionnels de 1977 ne renvoie-t-elle pas, dans une certaine mesure à la solution négociée du phénomène terroriste ?

S’agissant des dispositions contenues dans les Conventions de Genève du 12 août 1949, ainsi que celles contenues dans les protocoles additionnels de 1977, quand on parle de ces dispositions-là, on parle de la matière même du Droit International Humanitaire. Il faut relever également que ce Droit International Humanitaire n’est pas applicable à toutes les situations. Toutes formes de violence aussi n’est pas automatiquement ou systématiquement soumise à l’applicabilité du DIH. Pour trouver une raison à appliquer le Droit International Humanitaire, il faut bien sûr que certaines conditions soient remplies.

Par conséquent, je ne pense pas que l’application DIH puisse constituer une quelconque solution négociée du phénomène terroriste. Au contraire, que ce soit au Burkina Faso ou ailleurs où des violences terroristes viendraient à se révéler, il s’agira pour l’autorité compétente de voir au regard des règles du DIH et des réalités factuelles sur le terrain, quelle qualification on peut donner à la situation… C’est à partir de cette qualification qu’on pourra déterminer le droit applicable.

Ne pas répondre aux belligérants ou aux protagonistes de la même manière qu’eux, n’est-il pas emprunter la voie du dialogue ?

Le Droit International Humanitaire, quand il est violé dans ses règles, ne permet pas un quelconque principe de réciprocité en particulier, à l’égard d’une telle situation de violation. Sur ce, vous avez parfaitement raison. Mais, il faut dire que, ne pas répliquer par les mêmes méthodes ne signifie pas également qu’une partie, ou en tout cas une entité attaquée puisse croiser les bras et laisser faire. Donc, il y a toujours ce droit de répliquer. Surtout quand c’est des faits menés dans le cadre d’un État organisé comme le nôtre ( Burkina Faso ndlr ). Il y a des moyens et des mécanismes existants qui permettent de pouvoir faire face à ces types de situation. D’ailleurs, je pense que c’est ce que nous faisons.

Au Burkina Faso, l’armée et les autorités politiques sont taxées de perpétrer de graves exactions à l’encontre des civils. On se demande alors , s’il n’existe pas des malentendus et idées reçues sur le DIH tant auprès du grand public que des acteurs internationaux…

Déjà, la précision que je voudrais réitérer, c’est de rappeler que la situation n’entraîne pas automatiquement l’application du DIH. Donc les débats sur l’applicabilité du DIH sont toujours ouverts. Nous, en tant que structure gouvernementale chargée d’appui conseil sur les questions de DIH et de droits de l’homme, nous avons développé aussi un argumentaire qui permet en tout cas au regard des faits sur le terrain actuellement, d’exclure l’applicabilité du DIH à la situation. Cela étant, il convient de rappeler que toute situation exceptionnelle nécessite des mesures exceptionnelles. Il faut d’or rappeler qu’avant tout,m la situation de lutte contre le terrorisme est bien sûr une situation exceptionnelle. Cette dernière va nécessairement de pair avec certaines limitations de droits et de libertés.

Par ailleurs, ce qui se passe chez nous obéit à des mécanismes juridiques prévus par nos lois et règlements. Dans cette perspective, des mesures sont également prévues à l’attention des organisations internationales telles que les Nations Unies. Nous respectons ces mesures-là, afin que ces entités soient informées des différentes limitations que nous opérons. Dans ce cas d’espèce, lorsque toutes ces conditions sont respectées, il n’y a pas question qu’on puisse encore se prévaloir d’une liberté qui fait l’objet d’une restriction légalement pour évoquer une liberté de presse. De ce qui précède, il faudra retenir qu’il ne s’agit nullement d’une chasse aux libertés. Mais, plutôt d’une volonté d’encadrer la lutte pour permettre à ce qu’elle puisse être menée comme il se doit.

Est-ce qu’objectivement, on peut sans se tromper dire aujourd’hui qu’il n’y a pas eu de violation des droits humains ou des DIH au Burkina Faso dans le cadre de la lutte contre le terrorisme ?

On peut utilement poser la question sur est-ce qu’il y a des violations des droits humains ? Mais, est-ce qu’il y a violation du Droit International Humanitaire ? A partir du moment où ce droit n’est pas applicable à la situation donnée on ne saurait évoquer une quelconque violation de ces règles. Maintenant, revenant sur la question des droits humains, il faut dire que le Burkina Faso a des acquis énormes en matière de promotion et de protection des droits humains. Il est l’un des rares pays en Afrique, pour ne pas dire au monde, à disposer d’un corps spécifique de l’administration publique qui soit dédié à la tâche de promotion et de protection des droits humains.

Pour ce faire, il y a une expertise nationale très abondante et très aiguë qui est disponible. En effet, c’est ce qui a permis au Burkina Faso de se distinguer en matière d’élaboration et de présentation des rapports dus aux organes internationaux. Depuis bien avant le début de cette crise.

« La situation peut être souvent difficile (…) »

De plus, avec cette crise qui est survenue, il faut reconnaître également que des actions en matière de promotion et de protection des droits humains ont été accentuées. Il y a, en réalité, toute une stratégie de formation, de renforcement des capacités des forces de défense et de sécurité, ainsi que des Volontaires pour la Défense de la Patrie (VDP) en droits humains. Comme la diffusion du droit international était aussi une obligation qui incombait à l’Etat en vertu de ses engagements internationaux et indépendamment de toute situation de conflit, nous avons bien voulu, à travers cette stratégie, adjoindre la diffusion du DIH. Un peu comme pour dire que trop de protection ne gâte pas la protection. Les FDS sont régulièrement formées sur ces questions. Ce qui fait qu’il est d’ailleurs difficile d’attribuer des violations graves des droits humains aux FDS ou au VDP.

Cependant, la situation peut être souvent difficile, complexe et que des gens agissent en donnant l’impression à l’opinion, d’être des FDS ou des VDP alors que la réalité est tout autre. Ce sont aussi des cas auxquels nous avons souvent assisté. Comme on le dit, il n’y a pas une seule parcelle sur cette planète terre sur laquelle les droits humains sont effectifs. Donc, dans le cadre de la lutte contre le terrorisme, s’il arrivait qu’il y ait des violations, soyez rassuré que les juridictions burkinabè compétentes en la matière, se saisissent de ces questions. Ceci afin que rien ne soit impuni. Voici autant de précisions que je peux donner par rapport à cette question.

A situation exceptionnelle, mesures exceptionnelles. Alors, dites-nous est ce qu’aujourd’hui, le DIH s’applique-t-il également aux situations de blocus ou d’isolement de populations civiles, comme c’est le cas à Djibo ?

Je pense de l’applicabilité, qu’il faut toujours retenir qu’une situation donnée ou particulière ne saurait être subdivisée en sous contexte dans l’analyse et la qualification. A partir de ce fait, les cas de blocus que vous évoquez sont des cas qui relèvent même de la crise. Alors, ils ne pourraient être détachés et traités séparément. Le droit s’applique à l’ensemble de la situation. Comme je vous l’ai dit, ce sont des actes terroristes posés par des terroristes. Ce sont tout de même des actes terroristes posés par soit, collectivement ou individuellement auxquels l’État à peaufiner une stratégie pour y répondre. Donc tout acte s’inscrivant dans ce cadre n’a pas qualification à même de requérir l’applicabilité du Droit international Humanitaire.

Dans une interview publiée par ONU Info, Leonardo Santos Simão évoque la nécessité d’augmenter le soutien humanitaire dans les régions du Sahel. Selon vous, en quoi ce constat est-il d’actualité, notamment au regard de la situation sécuritaire au Burkina Faso ?

La question, à mon sens, a beaucoup évolué. C’est vrai que les besoins humanitaires restent présents et pressants. Mais souvent, entre la réalité du terrain et ce qui est dit dans certains milieux, il peut y avoir un grand fossé. Parce qu’actuellement, la tendance est au retour et à la réinstallation de bon nombre de personnes déplacées internes. Donc, quand vous prenez des statistiques comme peut-être en 2023 ou bien avant ça, qui parlait de plus de 2 millions ou environ 2 millions de déplacés internes, aujourd’hui, vous verrez que si on doit établir des statistiques ça sera loin de ce chiffre. Simplement parce que beaucoup de villages ont pu être réinstallés. Les habitants ont regagné les villages en abandonnant les centres d’accueil des personnes déplacées internes.

Pouvez-vous nous situer un peu par rapport à ces villages ?

Actuellement, il y a des villages réinstallés qui font l’objet d’un processus de consolidation. Tout comme, il y a des villages en cours d’installation. Les exigences sécuritaires, ne permettent pas que l’on puisse énumérer ces villages dans les colonnes d’une interview. En vous y intéressant de près, vous constaterez effectivement que c’est chose effective.

Selon-vous, quelles mesures de formation ou d’information seraient nécessaires pour les acteurs de terrain et les médias, pour réduire l’écart entre les conceptions théoriques et la réalité opérationnelle du DIH ?

Pour ce qui concerne les médias, je pense que le Burkina Faso demeure un pays hospitalier qui permet à ce que l’on puisse venir et voir de plus près les actions qui sont menées. Tout récemment, vous avez suivi, ne serait-ce qu’à distance, l’organisation combien réussi du Fespaco. Qui d’ailleurs a drainé par exemple un grand nombre de festivaliers aussi bien internationaux que nationaux. Ceci certifie mon argumentaire. Car ce fait démontre à l’opinion publique, nationale et internationale que le Burkina Faso demeure un pays vivable. Loin des clichés que certains médias ne cessent de lui attribuer bien sûr. Pour vraiment avoir l’information, ce qui est bien, c’est d’aller à la source. C’est en cela que je salue votre initiative d’interview qui permet en tout cas d’avoir certaines informations pour vos lecteurs afin qu’eux aussi puissent être au parfum de ce qui est fait réellement sur le terrain.

Est-ce que pour vous, la dynamique politique régionale en cours influe quelque peu sur l’applicabilité du DIH dans une certaine mesure ou des droits humains en matière de conflits de type terroriste ?

Un conflit de type terroriste au regard du DIH, ce n’est pas une qualification envisageable. Parce que le DIH classique tel que nous le connaissons ne prévoit que deux types de conflits armés. Soit le conflit armé international (CAI) et le conflit armé non international (CANI). Maintenant, le conflit mis en exergue est un conflit de type nouveau. Avec des acteurs qui ne sont pas forcément ceux qui sont pris en compte par les rédacteurs des conventions en lien avec le droit international humanitaire. Mais ce qui est intéressant, c’est que le droit est un produit de la société.

Au regard de l’évolution actuelle des conflits, le droit en particulier celui humanitaire devrait aussi pouvoir se développer. Afin de s’adapter à cette nouvelle conflictualité pour continuer toujours de régir les conflits. Mais bon, des Etats civilisés comme les nôtres ont toujours su trouver dans leur arsenal juridique, des moyens et des mécanismes pour régir toute question, aussi nouvelle soit-elle. Qui de surcroît viendrait à se poser dans le cadre de son existence. Je pense que le Burkina Faso a su trouver justement les voies et moyens pour mener une lutte contre le terrorisme qui lui est imposée. Tout en étant soucieux du respect des droits humains.

Mot de fin sur la perception extérieure et la réalité du terrain en matière de dégâts et de respect des droits humains et également des violations des droits humanitaires …

Souvent, ce qui se dit de loin peut répondre à d’autres préoccupations que la transmission de la réalité sur le terrain. Sinon, sur le terrain, nous pourrions à travers les colonnes de journaux citer les prouesses de l’armée burkinabè dans des actions qui ont carrément mis en évidence leurs capacités et leur volonté de respecter et de protéger les droits humains. Plusieurs exemples subsistent. Pour ce qui concerne la perception extérieure, il faut dire que c’est une volonté sincère qui pourra la faire changer. Ce ne sera pas seulement une volonté de la part de nous burkinabé. Mais une volonté réelle de la part de tout acteur intéressé par la situation burkinabé qui voudrait l’aborder avec le minimum de sincérité et d’objectivité.

Comme je l’ai décrit tantôt, nous sommes dans une situation où des gens peuvent se pointer dans un village et commencer à tirer sur de paisibles populations. Sans aucune forme de revendication et sans aucune forme de reproches faits à l’autorité étatique. Ce qui laisse entendre que la seule chose qui nous est reprochée, c’est pourquoi vous êtes là et vivez. Quand c’est comme ça, aucun Etat responsable au monde ne peut assister à de tels actes et croiser les bras. Le Burkina Faso à travers son gouvernement, s’est mis dans cette dynamique et a développé des mesures de contre-terrorisme pour lutter contre le phénomène.Ces mesures peuvent avoir leurs forces et leurs faiblesses, selon les analystes.

« Le rôle premier de ces forces armées (…) »

Toutefois, la volonté première reste la protection des populations contre les violations des droits humains. En ayant cette volonté, on peut difficilement encore aller soi-même se rendre coupable de violation de droits que nous voulions protéger. Dire que dans le cadre de la lutte contre le terrorisme des membres des forces armées burkinabé violent des droits humains, c’est vraiment ne pas creuser profondément dans l’analyse.

Le rôle premier de ces forces armées, c’est justement de protéger les droits humains des populations. Leur permettre également de vivre sur leurs terres; de mener leurs activités agricoles et pastorales; d’aller se faire soigner dans un centre médical digne du nom ou de pouvoir envoyer leurs enfants à l’école. Voici ce que l’État burkinabé veut protéger à travers la lutte contre le terrorisme. Alors que le terrorisme, se donne pour objectif de détruire justement les infrastructures devant servir à l’effectivité, entre autres du droit à l’éducation, du droit à la santé, du droit à l’alimentation et de la liberté d’aller et de venir…

C’est vraiment deux camps opposés et ce serait très difficile que le camp du Burkina Faso puisse encore commettre des violations des droits humains. Toutefois, dans une situation souvent confuse, ça peut arriver. Voilà pourquoi la justice est là pour qu’à chaque fois qu’il y a des manquements, elle puisse rappeler à l’ordre et pour qu’on reste focus sur notre objectif premier qui est la protection.

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