Home Actualité Vernissage à l’espace Le Centre : Nobel Koty et Tessilim Adjayi peignent les « exils »

Vernissage à l’espace Le Centre : Nobel Koty et Tessilim Adjayi peignent les « exils »

Par Sêmèvo Bonaventure AGBON
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Certaines personnes connaissent l’exil, mais tous les hommes sont sujets aux…exils. Le béninois Nobel Koty et le togolais Tessilim Adjayi le montrent à travers leurs œuvres issues d’un mois de résidence et au cœur d’une exposition qui court jusqu’au vendredi 10 juin prochain à l’espace culturel ‘’Le Centre’’ d’Abomey-Calavi. En deux styles différents, autoportrait et photographie, le duo d’artistes relatent des réalités poignantes qui ont comblé les visiteurs d’émotion lors du vernissage le vendredi 8 avril.

Par Sêmèvo Bonaventure AGBON

Au milieu d’un vide absolu symbolisé par la couleur blanche, un homme est tout allongé. Face à ce tableau grand format accroché au mur vers lequel se tournent en premier les regards, aucun contemplateur n’a pu s’empêcher une question : « est-il mort ? » L’artiste-peintre Nobel Koty entretient à propos la neutralité. « Mort ou repos », a-t-il nommé la création.

À l’interrogation qui revient constamment, il se contente de faire observer que « notre corps a besoin de repos et pendant qu’on dort, on est enfouis dans un profond sommeil, c’est comme si on était mort. On n’est pas différent d’un mort, on est inerte, on n’est conscient de rien, on n’est pas maître de notre corps. Je voudrais montrer que pendant ce processus il y a un exil forcé de la conscience. Même quand on règle le réveil à 7h, on ne sait pas quand on se réveille finalement. Même si c’est à un millimètre près, il y a toujours un écart qui nous échappe. Nous n’avons plus la pleine capacité de notre corps ».

 

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Lecture que partage le visiteur Martial Adjaka, lui-même artiste-peintre. « Du point de vue visuel, on voit que les œuvres ont de rapport avec la thématique. On n’aura pas trop à réfléchir avant de comprendre. Selon moi, les exils, c’est le retour sur soi-même, on ne voit plus l’extérieur ». L’œuvre est une acrylique sur toile, la première de la série ‘’Prolongements’’. Au nombre de quatre, elles sont toutes des autoportraits précédés d’une citation d’introduction : « Il n’y a pas un exil. Ce sont toujours des exils », de Mourid Barghout.

Dans cette pièce composée rien que des œuvres de Koty, le public découvre ensuite, d’autres tableaux avec le même personnage. Seul ne change pas la dissimulation par décence des organes génitaux dans une petite culotte. La variété de postures du personnage représenté s’inscrit dans un style qu’il a créé et exploré dans ses créations antérieures. Il les développe dans les grands formats pour la première fois -150x150cm, 130x110cm ou 65x45cm. Une manière d’accentuer la notion de solitude, de « faire le vide ».

Tristesse, souffrance, pauvreté… Ce sont d’ailleurs les vibrations dominantes dans ces œuvres. Amenant à conclure face à ces portraits que les « exils » sont forcément redoutables, jamais souhaitables. Perception que Nobel Koty entend atténuer : « Quand on parle d’exil, les gens pensent souvent au fait d’immigrer ailleurs sur d’autres contrées. Je voulais montrer qu’il y a plusieurs formes d’exils. On peut choisir consciemment de s’exiler par rapport aux aléas de la vie, aux problèmes. À un moment de notre vie on a besoin de prendre du recul pour nous découvrir. Pour moi l’exil c’est ce phénomène qui pousse à se retrancher de la réalité des choses vivantes, du bruit, des gens, de la chaleur…Il n’y a rien de négatif dans ce processus. Cela peut être dû à un événement choquant. S’exiler c’est essayer de se retrouver, aller à la quête de la liberté qui peut être parfois réelle ou imaginaire. »

Nobel Koty en discussion avec des visiteurs

L’artiste-peintre Nobel Koty en discussion avec des visiteurs

 

Similitude

Les visiteurs doivent franchir ensuite une petite pièce rectangulaire. Ici les œuvres des deux artistes se cohabitent. Illustration même de la résidence de création d’un mois qu’ils ont eu préalablement ensemble autour de la thématique. « De manière générale lorsque nous travaillons avec des artistes l’idée c’est de mettre en commun leurs intelligences, leurs pratiques, leurs visions, et de voir quels sont les points communs pour qu’on puisse créer à propos… Les artistes ont discuté et sont tombés les deux facilement d’accord sur la thématique de l’ « exils », précise la directrice Marion Hamard.

La dernière partie de l’exposition est, enfin, un univers de la photographie. Ici règne Tessilim Adjayi, médium entre le public et une série de 13 photographies à dimensions variables, tirées blanc et noir intitulée ‘’Ronou’’, signifiant « penser, réfléchir ». Très vite on se rend compte qu’il a en commun avec Nobel Koty de présenter des personnages en toute sobriété. Chez lui aussi, pas de sujets richement habillés : haillons, pieds nus et le regard creux. Ensuite, l’anonymat. Tessilim Adjayi a la manie de voiler, de dépouiller ses sujets de leur visage. Lui le fait au moyen du carton. Métaphore du repli sur soi, ce motif itératif représente la conscience lorsqu’il est porté; fermé, il renvoie au recul interne. Troisième similitude avec son complice : l’emploi du blanc, synonyme du vide. Tessilim construit généralement ses photographies dans des espaces urbains.

 

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« Souvent dans mes photographies on ne voit pas de visages. Soit je mets un masque ou des sachets plastiques. Ici j’ai voulu travailler un matériau local. En parcourant le quartier j’ai trouvé des cartons. Le carton avant d’être ouvert est fermé. Donc on est obligé de l’ouvrir. Or, notre thème c’est ‘’exils’’. Donc je suis parti du repli sur soi pour aboutir à l’exil. Pour moi le concept du carton ouvert et fermé représente mieux le concept que je veux représenter », explique-t-il.

Une série de quatre photographies saturées ne laisse personne indifférent. Elle soumet à la compassion du public, une mère en pagne avec un bébé dans le bras. Les trois premières images expriment à fond les étapes de doute, d’hésitation, de réflexion qu’elle a bravées seule au bord de ces rails avant d’opter pour la grave décision : l’exil. L’ultime fortune qu’elle emporte dans la main gauche se résume à un petit sac au contenu inconnu, mais qui montre que derrière, autant de biens, de proche, une terre, un village aimé…ont dû été violemment abandonnés.

Sur une autre photographie saturée, un enfant sanctionné pour avoir commis une bêtise « s’exile dans les arbres, le temps de réfléchir à son acte ». Preuve d’un exil réparateur. De l’autre, un jeune attaché assis sur des briques superposées. Comme quoi, « Il y a deux sortes d’exil, l’un consenti, l’autre imposé. Évidemment, on les supporte différemment », citation de Ahmed Khia répondant à celle en introduction chez Nobel Koty.

Retour ?

Difficile de trouver parmi le public, une personne qui n’a jamais connu une forme d’exil. « L’exil sous des termes atténués, je pense que chacun s’est déjà exilé une fois », glisse Rose Zannou Koty. « Je me suis exilé une fois après un drame que j’ai vécu. Je me suis exilé, et cela m’a permis, dans mon coin, de sortir tout ce qui me traversait. L’exil m’a permis énormément de recherche. Ça a été bénéfique », témoigne Dalcy Charles d’Almeida. La directrice du Centre est aussi de cet avis. « Des exils, bien sûr. Et c’est un peu le propos de cette exposition. Quand on parle d’exil on a vraiment tendance à voir l’exil physique, cette espèce de déplacement d’un point à un autre. Mais j’ai beaucoup apprécié la manière dont ils ont envisagé l’exil de manière plurielle. L’exil est pluriel », soutient Marion Hamard.

 

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S’il arrive de s’exiler, il importe aussi de revenir à la normale, de se retrouver. Cet idéal semble absent ou discutable dans les créations de Nobel Koty et Tessilim Adjayi. « Le retour à la normale a besoin de beaucoup d’énergie intérieure pour qu’on puisse rebondir. Il y a des faits qui vous amènent à puiser en vous l’énergie nécessaire pour revenir. C’est beaucoup de travail sur soi, donc ce n’est pas tout le monde qui réussit à revenir », reconnaît Rose Zannou Koty. La passionnée de culture touchée au fond d’elle, avoue que : « Forcément quand on sort de cet espace, il reste encore un peu d’émotion ». Subsiste, relève-t-elle, la question du retour à la normale. « J’espère un jour revenir voir une autre exposition qui sera appelée par exemple « retour d’exil ». Parce que quand on s’en va il faut toujours revenir », formule-t-elle, enfin.

La résidence de création a également pris en compte les enfants, cible prioritaire du Centre. Les dessins-peintures qu’ils ont réalisés pendant l’atelier jeune public d’initiation à la peinture et à la photographie dénommé ‘’ateliers ayiru’’ ont été mis en mouvement.

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